Magazine Beaux Arts

Paris, possible : l'élégie urbaine d'Eléonore Didier

Publié le 22 juillet 2007 par Jérôme Delatour

(cl. Images de danse)
A l'heure où titillés par les trompettes du Midi, les bobos transhument, il reste encore bien des choses à voir à Paris. Au Point Ephémère, par exemple, Eléonore Didier nous ouvre gratuitement sa résidence. Sa performance, intitulée Paris, possible, est en principe ouverte à un seul spectateur les lundis de 11 à 13 h ; mais ce 16 juillet nous étions six, dont un photographe et une dessinatrice. Ici, pas de places, pas de musique, une belle salle de danse brute, une relation plus étroite avec la danseuse, bien qu'elle paraisse ne pas tenir compte de notre présence et même si nul mot n'est échangé. Bien plus qu'un spectacle, c'est un temps de vie partagé.

Notes :

Juillet, tenue eskimo. Parka brune, jean, baskets gris-vert
A terre.
Part en fermant la porte.
Ronron des péniches.
Reprend où elle en était
Enlève une chaussure
La chaussette
   tête de mort humour
Se gratte la jambe
Visage dans les cheveux
   et la capuche
   contre le sol
      puis dans les genoux
Comme un ordinateur lent à démarrer
   dedans, des millions d'opérations
   pour prendre conscience de ses périphériques
   s'allumer millimètre par millimètre
Tape des pieds à plat
Sinon tout à fait silencieuse, toujours
Enlève son jean
   une jambe seulement
Balancier des chairs
   difficulté déséquilibre l'autre encore habillée
Autre jambe enlevée en gardant la chaussure, redifficulté
se retourne, visage, soupir
exercice talons
se tape la tête contre une marche
   de plus en plus fort
   grimace légèrement
Orgasme
A quatre pattes avant la station debout ?
S'effondre sur tranche
debout enfin
le corps nu est debout :
et voilà le visage et l'homme
poses photo, le temps
Toute rouge
miroirs ébréchés
question d'états fugitifs
torse luisant de sueur
sur l'escabaut, oscillant trophée, pendue comme la toison d'or
Repart définitivement
(Théâtralité du non théâtral...)

Eléonore Didier, Paris, possible
(cl. Images de danse)   Avec une grande simplicité, sans oripeaux inutiles, Eléonore Didier réussit un solo parfaitement construit, subtil, sans longueur, parfaitement lisible, à la fois tranchant et gracieux, témoignant d'une attention aux détails qui dénote une vraie sensibilité.
Eléonore Didier donne à voir le travail quotidien du danseur, l'écoute attentive de son environnement, son embrassement par toute sa chair et tous ses pores. Elle exécute à merveille cet exercice, cette façon de voir avec la peau et de sentir avec l'âme, de s'unir à l'inerte jusqu'à vouloir le pénétrer, à entrer en résonnance avec lui en s'arquant comme les câbles électriques, en se pliant comme l'escabaut.

Eléonore Didier, Paris, possible
(cl. Images de danse)
Mais Eléonore Didier parvient à dépasser l'exercice. Sous ses pas, la friche urbaine se fait paysage, vierge nature  dans laquelle le corps se perd et se retrouve. Comme les saints ermites représentés par les artistes de la Renaissance, elle est un point dans l'immensité de la Création ; exaltation et mélancolie.  De face puis de profil, l'escabaut devient compas de proportion pour relier le corps et le monde. Quelques autres accessoires suffisent à suggérer le sentiment de la mort et de l'éphémère : la chaussette à tête de mort, trouvaille à mi-chemin du gimmick et de l'avertissement sententieux, memento mori à même le corps palpitant ; l'appareil photo, qui grave l'instant qui meurt ; les deux miroirs de la pièce, ébréchés, enrôlés de force dans cette vanité improvisée ; le corps même de la danseuse étendu tout du long, échevelé, rappelant les gisants du gothique tardif, si réalistes et morbides, ou les suppliciés disséqués des artistes de la Renaissance.
Cerise sur le gâteau, ces figures empruntées à la statuaire antique, comme pour prouver avec culot qu'une beauté forte et naïve a encore sa place dans les arts.

♥♥♥♥♥♥ Paris, possible, d' Eléonore Didier, est donné au Point Ephémère en juin et juillet 2007.

Votez pour cette pièce pour participer au Palmarès de Scènes 2.0 !

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jérôme Delatour 206 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines