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Extraterrestres et académisme

Par Untel

On pourrait le lire, ou presque, ou en partie, comme un roman de lutte contre l’académisme. Qu’est-ce que l’académisme ou plutôt qu’est-ce que la pensée académique ou l’attitude académique ? Un académicien, appelons-le comme ça, c’est un type qui sait ce qui est bien et beau, qui connaît les règles qu’il faut respecter pour, disons, produire une belle œuvre d’art, quelle que soit la « discipline ». C’est quelqu’un qui détient la définition de la belle œuvre, ou de l’œuvre véritable, car, au fond, c’est pareil. Il en est même, avec ses potes et ses maîtres, le propriétaire ou, du moins, le garant. Ainsi l’académicien, fort de son « savoir » va-t-il pouvoir, parmi les productions de l’esprit, identifier clairement celles qui ne relèvent pas de l’art véritable. Ainsi, tel tableau, qui ne respecte pas telle norme (tel aspect de la perspective ou de la figuration, ou à l’inverse de l’abstraction), n’est pas de l’art, et même pas un vrai tableau, ne parvient pas à l’être (et, en fait, n’existe qu’à peine – une chose parmi d’autres). Tel poème, parce qu’il est composé de vers irréguliers (pour prendre un exemple trop ancien – chacun peut en trouver d’autres et faire des listes, s’il a envie) etc. etc. etc. mais l’académisme n’est pas le propre des vieux, on le sait tous, que les avant-gardes produisent elles aussi leurs académismes ; après avoir été rejetées un temps par l’autorité, elles n’hésitent pas à utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour lancer des anathèmes ou dresser de nouvelles frontières – mais peut-être, justement, est-ce l’effet de l’âge. L’important, c’est tenir à ses règles et à ses définitions, et mépriser naturellement ce qui ne les respecte pas. Car puisque l’idéal est bien identifié, et codifié dans un manifeste ou je ne sais quoi, tout le monde peut en prendre connaissance et s’efforcer de l’atteindre, et tout ce qui ne l’atteint pas est, de fait, échec. Celui qui prétendrait à la beauté sans se soumettre aux règles serait forcément médiocre, pauvre (l’académisme n’occupe pas une position neutre sur le terrain politique), impuissant, indigne, scandaleux etc.

L’académicien tient à ses conceptions sans lesquelles, avec ses amis, il ne serait rien. Aussi est-ce un enjeu politique, pour lui, que de refouler dans le discrédit, l’opprobre ou, au moins, le mépris, ce qui prétendrait exister en dehors de son institution ou de ses codes (l’académisme est bien entendu un snobisme). Il est autoritaire, sûr de lui et de l’immuabilité de ses valeurs (le monde se divise en deux catégories), et ne peut s’empêcher de salir les malheureux vers lesquels il se tourne ; ce n’est pas pour rien qu’un grand auteur américain qualifie utilise l’élégant terme de « cacadémisme ». Mais c’est aussi un idéaliste, qui ne cessera de pleurer la gloire d’antan, ou, en tout cas, la médiocrité des productions présentes, si faibles alors que les ressources de l’art véritable, pour ainsi dire introuvable en ces temps où les professeurs sont sans cesse en grève, sont si incomparablement riches. Fatalement, le pauvre conservateur est condamné à parler de ce qui devrait être, la réalité étant si misérable. Le pire est qu’elle ne cherche même pas à progresser ! C’est dégoûtant.

Bref, tu me diras que pour le moment je déblatère et que je ne fais pas mon boulot, car c’est bien beau de se faire des tartines de ciboulot, mais on est là pour parler d’un bouquin. C’est vrai, j’avais presque oublié à quel point les lecteurs sont parfois, comme des consommateurs, ou comme des salauds de patrons.

Et bien sache que Jusqu’au cœur du soleil est en un sens un éloge de la créativité humaine, et individuelle et aventureuse, en ceci : une espèce extraterrestre a depuis quelques siècles apporté sur Terre une Bibliothèque, qui réunit l’ensemble du savoir de l’univers, connaissances bien sûr infiniment plus développées que ne sauraient l’être la science des seuls humains. Cependant, on n’apporte pas cette connaissance gratuitement. Un peu comme les colons ne construisaient pas des routes sur les terres qu’ils s’étaient appropriés pour que les habitants du coin puissent en disposer à leur aise, il faut servir pour bénéficier de ces bienfaits. Quel est l’effet de cette situation : les extraterrestres (pas tous, yen a des biens) essaient d’empêcher les humains de conduire à bien leur projet, en l’occurrence, prendre contact avec une espèce intelligente qui aurait élu domicile sur le soleil (drôle d’idée tout de même). Les E.T. gagneraient eux-mêmes à ce que l’expérience aboutisse, puisqu’elle apporterait de nouvelles connaissances. La question n’est bien sûr pas là, tout comme le combat de l’académisme ne se réduit pas à une controverse esthétique.

Jusqu’au cœur du soleil, de David Brin, Folio SF




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