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Un ange et des idiots…

Publié le 21 février 2009 par Boustoune


Ricky
, le nouveau film de François Ozon, commence comme une simple chronique sociale : Une femme craque devant une assistante sociale, demandant à ce que son bébé soit placé dans une famille d’accueil. Retour quelques mois auparavant, sur ce qui l’a menée là...
Elle s’appelle Katie et élève seule sa fille de six ans, Lisa, dans une cité HLM du nord de la France. Elle travaille comme ouvrière dans une usine de produits chimiques. C’est là qu’elle rencontre Paco, un homme d’origine espagnole, ouvrier lui aussi. C’est le coup de foudre. Ils font l’amour et Katie tombe rapidement enceinte. Le bébé naît, ils l’appellent Ricky.
La vie pourrait alors être idyllique pour cette famille recomposée, mais c’est tout le contraire qui se produit. Lisa est perturbée par l’apparition conjointe d’un nouveau beau-père et d’un frère, Paco fuit ses responsabilités, le couple se déchire puis se rabiboche, pour mieux se perdre de nouveau. Quand des marques apparaissent sur le dos du bébé, Katie soupçonne son compagnon d’avoir usé de violences sur l’enfant. Il quitte le foyer. Mais les marques continuent de s’étendre.
Ricky est différent… Il lui pousse des ailes dans le dos. De vraies ailes, avec des plumes, comme les oiseaux, qui lui permettent de voler…
Un ange et des idiots…
Le film prend alors un tour plus fantastique, transformant l’ensemble en fable à la morale apparemment appuyée (le bébé, ange gardien du couple, qui lui permet de se reconstruire de façon harmonieuse…). Même si, grâce à la mise en scène sobre et précise de François Ozon, le résultat n’est pas aussi mièvre que le laissaient craindre le sujet et la bande-annonce, j’avoue que cette partie n’est pas franchement ce que j’ai préféré dans le film. Et si le film ne devait se résumer qu’à ça, je lui mettrais à peine la moyenne.
Mais les choses sont évidemment plus complexes que cela. Il ne faut pas oublier que, d’une part, le scénario est inspiré de « Moth » (1), une nouvelle de Rose Tremain, romancière contemporaine britannique ayant remporté plusieurs prix littéraires, et d’autre part, que François Ozon est un réalisateur subtil et confirmé, qui utilise le fantastique pour déformer une réalité souvent trop noire, trop lourde à supporter (Sitcom, Sous le sable, Swimming pool reposent un peu sur ce principe).
Un ange et des idiots…
La construction du film, assez étrange, laisse à penser que le cinéaste a voulu aller plus loin que la simple bluette et que son film est plus riche qu’il n’en a l’air. Il y a déjà cette scène d’ouverture, dans le bureau de l’assistante sociale, qui, chronologiquement, devrait se trouver au milieu du film. Elle est certes destinée à attirer d’entrée de jeu la compassion du spectateur sur Katie, mais est-ce sa seule utilité. Bizarrement, il n’y sera plus fait mention au cours de l’histoire, alors que Katie était sur le point de craquer réellement, d’abandonner cet enfant à d’autres... Peut-être y-a-t-il un lien avec la séquence où Ricky s’envole littéralement à la fin du film, après que sa mère l’ait involontairement ( ?) lâché…
Autre étrangeté, l’utilisation des ellipses, assez brutales. On apprend tout juste que Paco vient de s’installer chez Katie et vlan, il est appelé à l’hôpital pour l’accouchement… Puis vlan, on découvre le couple en train de se déchirer… et ainsi de suite jusqu’à l’apparition des fameuses ailes… Que faut-il y voir ?
Si l’on débarrasse le script de cette histoire de bébé volant, posant comme postulat que cette histoire fantastique est impossible, le film redevient alors un drame humain et social passionnant, car totalement ouvert aux interprétations.
Tout peut être remis en cause : Ricky est-il seulement vraiment né ? Paco est appelé à l’hôpital en urgence, mais on ne voit pas la naissance de l’enfant. On ne voit d’ailleurs rien de la grossesse de Katie… Et si elle avait fait une fausse-couche ? Cette histoire de bébé/ange s’envolant finalement dans les cieux pourrait alors correspondre à un fantasme d’une femme détruite par la mort de son enfant, perturbée psychologiquement et cherchant à transformer la réalité de façon à la rendre plus supportable.
Un ange et des idiots…
Admettons maintenant que Katie a bel et bien accouché : peut-on envisager que l’enfant soit né « différent », pas avec des ailes dans le dos, mais affligé d’une malformation physique et/ou intellectuelle ? Assurément. D’autant que, au moment où a été conçu Ricky, dans les toilettes de l’entreprise, une fuite de produit toxique – tératogène ? – a été décelée… On peut alors imaginer que, devant l’aspect « monstrueux » du nourrisson, Paco ait pris peur et se soit enfui du domicile conjugale, que l’enfant, trop difforme, ait fini par mourir ou tout simplement, que, dans l’incapacité à s’occuper d’un enfant handicapé, Katie ait fini par l’abandonner à une famille d’accueil plus aisée…
Et le raisonnement reste valable même dans l’hypothèse où l’enfant est normal. Il se pourrait simplement que le couple, aux revenus trop modestes pour s’en sortir et en proie à des difficultés internes, n’ait pas les moyens de l’élever et décide de le confier aux bons soins de la DDASS.
On peut aussi se demander si Ricky n’a pas effectivement souffert de maltraitance de la part d’un autre membre de sa famille. Son père, comme évoqué, ou pourquoi pas sa sœur, Lisa ?
Car la caméra de François Ozon s’attarde beaucoup sur la gamine, qui peine à trouver sa place dans la nouvelle cellule familiale. Elle entretenait une relation privilégiée avec sa mère et, quand arrive Paco, l’attention et l’affection de celle-ci sont divisées en deux. Par exemple, avant, Katie emmenait Lisa à l’école sur son scooter. Désormais, la fillette doit prendre le bus et c’est Paco qui a gagné le droit d’être véhiculé.  Et avec l’arrivée de Ricky, les choses sont encore plus problématiques. On comprendrait aisément que Lisa nourrisse un fort sentiment de jalousie par rapport à ces deux « intrus ». La scène du repas, où elle demande à manger l’aile du poulet peut-être vue comme le symbole de la jalousie qu’elle éprouve pour son frère. Désormais, c’est lui qui est l’enfant chéri. C’est lui qui porte les ailes (au début du film, on voit Lisa arborer un déguisement de fée/papillon, avec deux ailes gigantesques dans le dos)… Partant de là, on peut très bien prendre la séquence où Lisa joue à mettre de l’alcool sur les blessures de son poupon en plastique comme une métaphore des mauvais traitements qu’elle infligerait à son frère.
On peut aussi considérer que tous les événements sont vus par le prisme de son regard infantile. Le film, et son approche naïve du merveilleux, font effectivement penser à un imaginaire d’enfant… Ou encore à un rêve…
Un ange et des idiots…
En fait, une théorie permet de regrouper toutes les interprétations que je viens d’énumérer. Elle est suggérée par le cinéaste lui-même : « C'est surtout l'aspect physiologique qui m'importe. Le côté "cronenbergien". Qu'est-ce que c'est d'avoir quelque chose qui germe en soi ? Qui grandit, qui se développe ? Ce côté organique, et aussi l'inconscient d'une femme qui porte cet enfant. Les femmes enceintes font souvent des cauchemars, des rêves, elles ont des angoisses, elles ont toujours peur d'accoucher de quelque chose de monstrueux. Le film parle de ça, comme dans le Rosemary's Baby de Polanski. On peut voir aussi le film comme l'état psychique d'une femme enceinte. » (2)
Dans un coup de folie, Katie et Paco font l’amour sur leur lieu de travail. La fuite de produit toxique – manière ironique et poétique de désigner la semence masculine ? - arrive à ce moment-là. Katie fait un malaise. Son délire commence peut-être là, ou plus tard, peu importe… Elle qui s’était probablement jurée de ne plus tomber dans le piège de l’amour, suite à une première tentative désastreuse, vient de s’attacher à un homme et est peut-être tombée enceinte.
Son subconscient imagine alors dans un mélange de fantasmes et de cauchemars, toutes les possibilités : et si le couple se délitait ? Et si Paco l’abandonnait ? Et si Lisa ne supportait pas Paco ? Et qu’adviendrait-il de leur complicité mère-fille si un nouvel enfant arrivait ? Et si le bébé s’avérait différent ? Paco resterait-il ? Auraient-ils les moyens de l’élever ?
Toutes ces questions se heurtent dans l’esprit de Katie, jusqu’à ce qu’elle trouve l’apaisement, en toute fin de film, en entrant dans le lac. La dernière image montre Paco et Lisa entourant Katie, enceinte, ce qui expliquerait pourquoi on n’a rien vu de sa grossesse avant l’accouchement d’un Ricky imaginaire…
Un ange et des idiots…
Mais François Ozon a l’élégance de laisser le champ libre à l’imagination du spectateur, afin que cette expérience cinématographique soit unique pour chacun : « Le spectateur doit avoir sa propre vision des choses, sa propre interprétation. En tant que spectateur, j'aime être actif au cinéma. J'ai donc tendance à faire en sorte qu'il y ait une interaction entre le film et le spectateur. Quand il y a des ellipses, un travail sur la forme, le public se pose des questions. Le cinéma reste un terrain d'expérimentation, où l'imaginaire du spectateur doit aussi fonctionner. » (2).
Son film, quel que soit l’angle de vue abordé, se révèle riche en possibilités d’interprétations et de débats, même si certains thèmes ressortent inévitablement : la perte d’un enfant (au propre comme au figuré), la complexité de l’équilibre familial, la pénible acquisition de la maturité…
Il serait donc idiot de n’y voir qu’une ridicule histoire fantastique, plombée de sentimentalisme. Portée par des acteurs très bien utilisés (Sergi Lopez, la jeune Mélusine Mayance, et Alexandra Lamy, remarquable), l’œuvre est dense et complexe, et ne livre ses subtilités aux spectateurs qu’au prix d’un bel effort d’imagination.
Ozon a pris des risques, et il est évident que cela ne plaira pas à tout le monde, mais Ricky n’en demeure pas moins un film intelligent et profond, loin du nanar que certains décrient (3) …
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
(1) : «Les ténèbres de Wallis Simpson » de Rose Tremain – Coll. Feux croisés – Ed. Plon
(2) : lire l’interview du réalisateur sur le site d’Evene.fr : cliquez ici  
(3) : Les idiots du titre de mon billet sont évidemment ceux-là, qui critiquent sans même chercher à analyser l'oeuvre...

Un ange et des idiots…


Tags : Ricky, François Ozon, Rose Tremain, Alexandra Lamy, ange, bébé, différence, couple, famille, perte d'un enfant

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