Magazine Banque

Régulation et crise financière : opportunités et limites d’une supervision intégrée au niveau national

Publié le 24 février 2009 par Sia Conseil

Le modèle de supervision français  

Le dispositif de supervision français repose sur une double logique. La première est « institutionnelle » : la Commission Bancaire (CB) couvre les établissements de

crédit et d’investissement et l’ACAM (Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles) des assurances et des mutuelles. La seconde est  « fonctionnelle » : l’Autorité des Marchés Financiers (issue de la fusion en 2003 du CMF, du CDGF et de la COB[1]) veille plus spécifiquement à la protection de l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés. Les grands établissements (qui exercent des activités bancaires, vendent des assurances et font appel public à l’épargne) sont ainsi soumis au contrôle de fait des trois entités.

Pour certains, l’éclatement et la complexité de cette organisation auraient été des freins à l’anticipation et au traitement de la crise dès son origine. Si cet argument est simpliste, le système de supervision n’en gagnerait pas moins à être réformé.

Les avantages d’un rapprochement CB / ACAM

La proposition de la mission Deletré de fusionner la CB avec l’ACAM permettrait de consolider le périmètre et d’améliorer la complémentarité des contrôles, bien au-delà de l’accord de coopération existant entre ces entités (étendu à l’AMF en 2005). Ce dispositif vise à éliminer les angles morts, alors que la complexification des produits financiers tend à rendre la limite entre Banques et Assurances toujours plus floue (à l’instar des dérivés et des CDS[2] notamment). Il disposerait également des moyens nécessaires pour mieux contrôler la commercialisation des produits financiers, comme le souhaite le Ministre de l’Économie, et qui font aujourd’hui défaut à l’AMF. 

La nouvelle entité jouirait en outre d’une autorité renforcée sur la place et d’une gouvernance plus efficace. En la plaçant sous l’égide de la Banque de France, dont le Gouverneur présiderait le collège unique, les pouvoirs publics s’assureraient enfin d’une meilleure réactivité dans la gestion de la liquidité du système, levier essentiel en temps de crise. 

Cette réforme s’inscrit d’ailleurs dans une tendance de fond : depuis 2002, la proportion de pays de l’OCDE disposant d’un superviseur unique a quasiment doublé (60% aujourd’hui). L’ère du temps est propice à ce type de rapprochement qui tire parti opportunément de la convergence des réglementations. En effet la maîtrise des risques reposera bientôt sur des principes communs aux banques et aux assurances (entrée en vigueur en 2010-2012 du socle Solvabilité II). Toutefois la supervision ne sera pas simplifiée pour autant dans la mesure où banques, assurances et mutuelles resteront régies par des Codes[3] et des comptabilités différents. L’argument des économies d’échelle générées par une telle structure, en vogue par ces périodes de rigueur budgétaire, trouve ici ses limites.

L’efficacité du futur superviseur dépendra donc de la clarté de ses missions et de sa capacité à capitaliser ses efforts sur les éléments de convergence tout en conservant la technicité et les moyens nécessaires aux contrôles réglementaires spécifiques à chaque secteur. Ceci aura également un impact sur la gestion du personnel, facteur essentiel de la réussite d’une telle réorganisation[4].

Une réforme nécessaire mais pas suffisante

Une fusion entre la CB et l’ACAM n’empêchera pas un nouveau dérapage si des pays extra-européens comme les États-Unis n’étendent pas leur réglementation prudentielle à toutes les activités bancaires. Les engagements hors bilan des banques d’investissement américaines qui ne sont soumis à aucune exigence de fonds propres, ont ainsi joué un rôle essentiel dans la crise financière. En Europe, ces activités sont justement contrôlées dans le cadre de la réglementation Bâle II.

La réforme des organes de supervision doit être accompagnée en parallèle d’une refonte du système de notation qui a montré ses limites[5]. La notation des agences ne tient en effet pas suffisamment compte des engagements hors bilan. Or l’évaluation de la chaîne des actifs issus des mécanismes de titrisation, nonobstant la complexité intrinsèque de ces derniers, est de facto biaisée dès le départ. Quelle que soit la réglementation prudentielle, la supervision ne peut qu’en être affaiblie. Si la Russie a annoncé vouloir créer sa propre agence, l’Europe souhaiterait plutôt superviser les agences établies sur son territoire, ce qui paraît plus raisonnable dans la mesure où des moyens coûteux devraient être mobilisés pour avoir une notation exhaustive.

Maîtriser la complexité…

Les banques ne peuvent pas financer l’économie uniquement avec leurs fonds propres et les entreprises continueront à avoir besoin de produits complexes pour couvrir leurs risques (autre conséquence des normes IFRS). Dans un système ouvert le risque aura toujours tendance à se répandre plus vite que la régulation. L’assainissement du système requiert la coordination de chantiers d’envergure touchant à la supervision : l’harmonisation des réglementations, non seulement entre banque et assurance mais aussi au niveau international, et le contrôle de la notation des établissements financiers.

…à l’échelle internationale

L’autre volet du débat se situe sur le choix de l’échelle sur laquelle entreprendre ces réformes. La proposition de la Commission Européenne adoptée par l’Ecofin en décembre dernier vise à mettre en place un collège de superviseurs qui devra suivre les grands groupes transnationaux à l’image de ce qui existe dans l’assurance (actuels Comités de coordination). Cependant le « lead supervisor », qui assure la coordination de la supervision du groupe dont la tête est établie sur son territoire, n’aura pas de pouvoirs étendus sur les filiales à l’étranger : les éventuelles sanctions et mesures correctives ne pourront être exigées que par le superviseur national. Cette nouvelle organisation paneuropéenne aura donc statutairement une portée limitée. En fait, le principe de subsidiarité risque de tuer dans l’œuf toute réforme d’envergure à moins d’amender les Traités européens. Une solution alternative consisterait à confier les prérogatives de la supervision à la Banque Centrale Européenne qui en a manifesté la légitimité (il s’agirait a minima d’activer une clause dormante du Traité de Maastricht). Cependant cette solution soulève une autre problématique : l’indépendance du superviseur vis-à-vis du pouvoir exécutif (dans l’application des règles édictées par ce dernier) et, subséquemment, celle de la politique monétaire, dans la mesure où supervision et contrôle de la masse monétaire sont intimement liées en période de crise. Reste la solution internationale, qui permettrait de dépasser les écueils institutionnels européens, et fournirait la seule réponse réellement adéquate à la complexité du système financier mondial. Le G20, de par son poids et sa représentativité, pourrait assurer la gouvernance mondiale de la supervision financière en adoptant un programme qui planifierait l’élaboration de normes par des institutions spécialisées (Comité de Bâle, GAFI, etc.). La question est de savoir qui jouerait le rôle du superviseur. Le FMI ne s’est pas montré très revendicatif sur le sujet et affirme plutôt sa légitimié à devenir une sorte de banque centrale mondiale dans le prolongement de sa vocation historique de régulation économique. On peut imaginer la constitution de collèges internationaux de superviseurs sur le modèle européen et qui, pour préserver la souveraineté des États, devront être adossés à une institution disposant d’un pouvoir de sanction ou d’arbitrage en cas de litige (comme l’OMC).

Le prochain sommet du G20 en mars sera donc, à n’en pas douter l’occasion de mesurer la réelle ambition des États à institutionnaliser une coopération internationale en matière de supervision financière. 

Sia Conseil


[1]Fusion de la Commission des Opérations de Bourse, du Conseil des Marchés Financiers et du Conseil de Discipline de la Gestion Financière
[2]Credit Default Swaps : contrats financiers bilatéraux où l’acheteur de protection verse une prime ex ante au vendeur de protection qui promet de compenser ex post les pertes liées à l’éventuel défaut de la contrepartie d’un crédit (notionnel).
[3]Code Monétaire et Financier pour les banques, Code des Assurances pour les assurances et Code de la Sécurité Sociale pour les mutuelles.
[4]Sur un panel de 15 agences issues de fusions, 60% ont déploré le départ de personnel qualifié et 53% une démoralisation générale (Martinez et Rose, Policy Research Paper, World Bank july 2003)
[5]Voir http://finance.sia-conseil.com/20070731/des-notes-au-coeur-des-systemes-financiers-mondiaux/ Aucun tag pour cet article.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sia Conseil 159 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines