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Sur l’aile qui vacille

Par Angèle Paoli


SUR L’AILE QUI VACILLE

-52° C. Milan. Turin. Bientôt Grenoble. Chambéry. Lyon. -52° C, parfois -50°C seulement. Givre béant. Vol en gel sur les hauteurs d’étoiles grises. Il neige sur la nuit des villes et le sourire d’elle me poursuit de son ombre absence abandonnée aux désirs fuyants des mots tus       c’est à elle que je rêve livrée aux froidures d’espace       bestiaire glacé et mes lèvres s’effritent en balbutiements de mots       inaboutis       je me laisse       m’absente pour mieux saisir la force de sa vie en moi toujours là me libère des mots qui bruissent sons que j’aimerais voir vibrer nus dans l’infini du jour

je m’envole et déjà me manque ta présence au-delà du temps       fui dans les absences de toujours ― tu es ― cela suffit à ma souffrance à mon manque à te dire cet amour qui se dérobe au langage des mots simples       les mots toujours s’épuisent en vagues vaines       à jamais perdues dans le miroir des flots       ton sourire déjà me cherche et je me parle de toi de nous de ce qui fut de ce temps de toujours qui perdure en nos brumes tu t’effaces et tu me laisses vivre à l’orée des joies autres que seule je sais miennes tu m’offres des parcours interdits en dehors des vibrances ordinaires

je m’envole dans les froidures de l’hiver à -52 °C au-dessus de l’horizon des villes le chat ronronne sur la margelle du temps qui va son chemin à l’orée de la treille et déjà tu guettes mon retour comptes les heures qui nous séparent libellule affolée du déclin de nos vies       je cherche d’autres seuils où élargir le temps je cherche d’autres vies pour inventer ma vie les frontières du jour qui décline ses heures me sont d’inutiles palis où appuyer le front le temps s’espace et me ramène à un cours sans fin dont nul jamais ne retourne       je voyage en ailleurs je repousse au plus loin de l’exil le vif des fêlures qui toujours nous assaillent

je m’envole et toujours je repousse plus loin dans l’ailleurs éphémère les portes de l’oubli       mémoire incertaine qui scelle notre amour et à droite de moi sur l’aile qui vacille Genève lac Léman lémurien endormi qui veille sur ses rives ― qui suis-je pour voler à l’envers du temps ― je compte les notes bleues qui me parlent de toi de ton visage offert au clair de la treille à l’air frais du matin ― et toi ― qui donc es-tu qui m’attends aux marges du sommeil désir d’eau et de sel secret gardé précieux aux pores de l’amour tu ne dors pas tu te lèves tournes dans l’ombre de la chambre bercée de rêves se déclinent les heures de sable voilà que tu recueilles le temps aux creux de tes mains et la fontaine chante dans son lit de mousse

et tu me dis je te lis dormante tu me dis mon visage livré à l’abandon paupières closes sur le rêve tu me dis dormante sage tu apprends la courbe des yeux l’ovale insouciant qui respire frontières de l’éveil tu me dis je t’attends là au bord d’une rive invisible et tu apprends les soubresauts tendres infimes palpitations offertes à ta veille souffles légers tu apprends l’abandon des épaules et celui de mes seins ventre replié sexe clos dans lit de mousse tiède j’ai pensé que peut-être le temps s’élargirait que peut-être il étirerait l’éventail de l’espace autres vies satellitaires       autres ivresses

je croyais ― mais sans doute est-ce un leurre ― qu’à démultiplier ainsi les plis de l’éventail j’obtiendrais le recul du temps abouti de la mort       je m’abreuve       de quelle illusion encore je me fais gardienne de désirs interdits       je cueille à même le chemin les graines d’eucalyptus tombées sur le talus et salue au passage les pervenches étoilées tapies dans la frilosité d’hiver et quelle attente celle que je repousse aux confins du non-vivre vers quel inconnu nous conduisent nos pas les tiens conjugués un instant dans la même résonance des jours

qu’est-ce qu’aimer sinon accueillir ce déploiement des formes déplier à l’envi les ailes des oiseaux prisonniers de l’hiver frémissement des feuilles sous le vent goûter lèvres de sel saveur d’orage sur la langue souvenir défunt d’un passé inventé mémoire folle qui délie ses tours       ses creux de roches lavés des larmes de l’oubli.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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