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Lorsque la violence se conjugue avec l'amour...

Par Shalinee
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Enterrez-moi sous le carrelage (Les Allusifs, 2009) est la première création littéraire du réalisateur et scénariste russe Pavel Sanaiev. Dans une verve tragi-comique, il nous livre le récit burlesque et bouleversant d’une famille typiquement russe, mais pas si ordinaire qu’elle le paraît.

Sacha Savéliev, notre jeune narrateur de 10 ans, souhaite être enterré sous le carrelage quand il mourra. Il pourra ainsi échapper aux vers et à l’obscurité, et pourra regarder sa mère depuis une fente autant qu’il le voudra. Drôle d’idée pour un petit garçon de son âge ! Mais celui-ci est persuadé qu’il pourrira à seize ans à cause de sa santé précaire. C’est en tout cas ce que lui répète sa grand-mère parmi les autres insultes, cris et imprécations qu’elle profère inlassablement à son encontre, telle une vieille Anna Karénine déjantée.

Avec beaucoup de naïveté et de sincérité, le petit Sacha nous décrit des petites saynètes de sa vie quotidienne, où il est toujours question de la figure dominante de sa grand-mère. Celle-ci tente en vain d’effacer l’amour qu’il ressent pour sa mère (de qui il est séparé depuis des années), et elle lui impose par ailleurs des règles lourdes et absurdes qui le privent des joies ordinaires d’un enfant de son âge : Il doit sans cesse avaler toutes sortes de médicaments, n’a pas le droit de suer, porte tout le temps des collants, etc.

Toutefois, alors même que nous commençons à compatir avec la frustration et les malheurs de notre jeune héros, voilà que l’auteur retourne la situation et nous dévoile l’autre facette de sa grand-mère qui jusque-là nous est apparue étouffante et possessive. On découvre l’histoire tragique de cette femme blessée, endurcie par les désillusions de sa vie et qui n’a qu’une raison de vivre : son petit Sacha. Nous comprenons alors que ses cris, ses insultes et ses menaces ne sont rien d’autre qu’un grand cri d’amour pour ce petit-fils qu’elle protège tant. Même si elle est loin de représenter une grand-mère modèle, nous ne pouvons que l’admirer dans son abnégation pour son petit-fils et compatir avec sa folie maladive. Mais réussira-t-elle à gagner ainsi l’amour de Sacha, qui ne vit que dans l’espoir de revoir sa mère ? Voilà la douloureuse problématique de ce roman.

Enterrez-moi sous le carrelage est une belle exploration de la complexité de l’âme humaine, qui peut aimer autant qu’elle est capable de faire souffrir. Avec ce livre, Pavel Sanaiev reste fidèle à ce brin de folie qui caractérise la littérature russe, faite de récits tragi-comiques et de personnages burlesques et émouvants. À travers le personnage de cette grand-mère étouffante et vociférante, mais incroyablement dévouée pour son petit-fils, l'auteur nous montre que la violence n’est après tout qu’une des nombreuses expressions de l’amour.

Extrait :

Vous savez, Véra Pétrovna, quand j'ai fini de lui faire prendre son bain, je n'ai plus la force de vider la baignoire et je me lave dans la même eau. (…) Je sais que lorsque j'y entre après lui, cette eau est comme un ruisseau qui coule sur mon âme. Je pourrais la boire cette eau! Il n'y a personne que j'aime ou que j'ai aimé autant que lui! C'est un petit imbécile qui s'imagine que sa mère l'aime encore plus, mais comment pourrait-elle l'aimer plus, dès l'instant qu'elle n'a pas autant souffert pour lui? Une fois par mois, elle lui apporte un jouet: est-ce que c'est de l'amour, ça? Moi, je respire par lui, je ressens par ses sentiments! (page 183)



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