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Tejpal, Loin de Chandigarh

Par Argoul

Voici un roman indien contemporain. Son auteur est journaliste, éditeur d’un magazine d’investigations. Ce premier roman est du format fleuve, style légué par les Anglais qui en raffolaient. A l’indienne, il effectue une tentative (avortée avec humour) de brasser toute l’histoire de l’Inde moderne. En fait, il se focalise sur l’amour et le sexe (autres ingrédients indiens traditionnels), cherchant à savoir lequel des deux est le ciment le plus fort entre deux êtres. Et, à l’indienne encore, tout le développement consistera à montrer que cette distinction binaire est fumée d’Occidental parce que les deux sont liés indéfectiblement, dialectiquement…

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L’histoire a des difficultés à démarrer ; elle aura des difficultés à finir. Mais, entre les deux, c’est un festival d’observations détaillées sur la flore et la faune de l’Inde. Le lecteur se délecte de finesse psychologique sur les intellos, les arrivistes, les commerçants, les gens du peuple, la rue, les couples, les haines ethniques, religieuses, de castes… Un chapitre d’anthologie conte les tribulations d’un chauffeur de vieux bus et de son aide, jamais sortis des montagnes, qui déménagent l’auteur à Delhi. Un autre détaille l’enquête sociologique d’une intellectuelle de la capitale sur les pratiques de masturbation masculine. C’est à mourir de rire.

Le fil conducteur est l’amour-sexe qui unit le conteur, journaliste alimentaire et écrivain rêvé, et sa femme Fizz, rencontrée alors qu’il était étudiant. Lui est hindou, elle musulmane : une union d’horreur dans l’Inde contemporaine, jamais remise de la Partition du Pakistan ! Ce nord du pays-continent, qui s’est déclaré « pays des Purs », a quitté l’Inde-mère pour s’ériger en fils puriste, acariâtre et moralisateur. Après quelques millions de morts par massacres dans les années d’épuration religieuse de part et d’autre de la frontière, le statu quo n’est qu’une paix armée. Son ombre maléfique plane toujours sur la société un demi-siècle plus tard. Chacun se raccroche à son groupe pour faire avancer ses petits intérêts. L’auteur botte en touche lorsqu’il « découvre » des carnets de cuir fauve dans une maison restaurée des contreforts himalayens : une Américaine blanche est venue vivre là, avec toute l’ambiguïté d’une transgression d’ethnie, de religion et de caste !

Et c’est donc le miroir du couple d’aujourd’hui dans le couple d’hier qui est le ressort du livre. Une dialectique, là encore, qui place l’Inde non pas au cœur de Delhi la capitale, mais dans cet entre-deux agréable des premières montagnes vers le nord, cette Kumaon où je suis allé voir et dont je témoigne qu’il fait si bon vivre loin des touffeurs et des arrivismes du centre. C’est là que va se nouer le drame, là qu’il se dénouera. Avec pour instruments les corps sensuels et pour résultat l’exploration en long et en large de cette vie physique, une étape parmi d’autres des réincarnations successives de l’être.

Original, truculent, érotique, ce long roman demande du temps pour bien le lire. Le lecteur ne se contentera pas de quelques pages à la fois, sous peine de perdre le fil. Comme Proust, Tejpal se lit à longues goulées d’une soixantaine de pages au moins. Ce qui, notons-le, n’est pas un mince compliment, même s’il s’arrête là.

Tarun Tejpal, Loin de Chandigarh (The Alchemy of Desire), 2005, Livre de Poche 2008, 692 pages, 8.08€


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