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Le coup de chaud / vi

Par Lejournaldeneon


(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-6-
Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
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CHAPITRE 5
LE SYNDROME DE MILTON
Bien né, intelligent. Un garçon plutôt sensible et tout ce qu’il y avait de bien élevé... surtout avec les filles qui ne rechignaient pas à se laisser photographier dans les tenues qu’elles acceptaient de porter pour lui. Antoine Conte-de-Beauregard, poursuivit son périple sur les terrains d’investigation journalistique à la mode du monde entier, grâce aux nombreuses relations artistiques et politiques de Madeleine Conte-de-Beauregard, née Beauregard, sa mère. Grâce surtout, au fric et à la mauvaise conscience de son père, Charles Conte-de-Beauregard, né Conte, cadre commercial spécialisé sur le marché de l’industrie textile et plus particulièrement dans la bonneterie qui lui prenait tout son temps. Quant à Marie... Elle ne l’avait plus jamais revu.
Comme à peu près tous les gamins de cette époque et de sa condition sociale, la progéniture de « B... » s’était découvert dans l’enfance, une passion pour les mondes fantastiques de Jules Verne(X), la poésie de St-Ex le facteur aérien disparu dans les sables sahariens, les aventures de Jack London(X) surtout... mais l’adolescent persista dans ses lectures infantiles et puériles. Au désespoir de « C... » très à cheval sur les principes de transmission du capital héréditaire.
-X- Écrivain de romans d’anticipation d’origine nantaise (1828-1905). Plutôt Monarchiste (orléaniste) malgré son élection au conseil municipal d’Amiens sur une liste de la gauche modérée. Un antisémite selon l'historien Jacques Sadoul. L’antidreyfusard prit tout de même position contre l’esclavagisme dans le même temps qu’il continuait de cultiver quelques idées racistes à l’endroit de tout ce qui n’était pas aryen. Se barre en Suisse entre 1870 et 1872 pendant les événements parisiens. Failli se faire flinguer vers la fin de sa vie par son neveu Gaston, venu lui soutirer un peu de fric. Une œuvre considérable.
-X- Écrivain voyageur américain (1876-1916) spécialisé dans la rédaction de livres d’animaux. L’appel de la forêt et Croc blanc sont toujours aujourd’hui des succès considérables dans les librairies du monde entier. L’auteur fut aussi très inspiré par les idées socialistes, la lecture de Victor Hugo, de Karl Marx et de Maupassant. Des idées classées alors d’extrême gauche, qui lui valurent d’être expulsé en Corée.
À la maison, c’est « B. » qui s’occupait de tout. Une correspondance familiale assidue, la couleur des fleurs du salon, le planning de la bonne et la lourde charge de l’éducation de leur fils unique. Pour le développement de ses aptitudes sportives, Madeleine avait d’abord pensé pour Antoine à quelques tentatives dans la pratique de l’équitation, mais considéra très vite la discipline corrompue et de plus en plus mal fréquentée depuis que les milieux de gauche et les fortunes faites après-guerre s’investissaient dorénavant dans cette occupation ordinaire... Non, sa véritable idée, l’authentique projet de Madeleine B. fut de destiner son cher petit Antoine à une immense carrière de danseur classique. Un petit rat. « Sa véritable vocation d’étoile ». Madeleine avait elle même passé quelques temps comme quadrille dans le corps de ballet de l’institution nationale losqu’elle faisait encore partie de l’école de danse de Paris. La sylphide, Giselle, Le lac des cygnes... Une passion. George surtout ! né Guergui Mélitonovitch Balanchivadze à St Petersbourg. (Au-delà de ses frontières naturelles, tout le monde avait fini par l’appeler George !) Elle l’avait vu dans Les 7 pêchés capitaux à Garnier, lorsqu’avec C. ils habitaient encore leur appartement parisien. George portait l’adage comme une feuille de vigne sur les belles proportions des Kouros helléniques ou sur l’Apoxyomène(X) de Lysippe. Quoique L’Eros(X) de Thespies l’inspirait beaucoup aussi... Ou bien encore cet Hermès de Praxitèle dont la jeune femme avait entendu parler bien sûr ! mais elle ne l’avait jamais vu. Charles — « un vrai con ! aurait certainement dit Vanessa… » — avait beau lui dire : « qu’il était pédé !… » Madeleine n’avait jamais voulu y croire ! Elle s’était précipitée chez un libraire de la rue St Honoré pour fouiller dans les annales de l’artiste, mais n’avait trouvé aucune preuve de ce que son mari avançait pour déshonorer son petit prince de ballets. Elle avait bien cherché, décelé peut-être quelques bribes... mais n’avait rien pu trouver d’irréfutable sur son compte à ce sujet. Madeleine expia la jalousie de son petit époux prétentieux, glissant son doigt d’une manière affectueuse sur une photographie en noir et blanc de l’athlète américain d’origine Georgienne à demi nu sous les « douches » du théâtre Kirov à Leningrad (la scène de ses débuts). Ce jour-là, Madame Conte-de-Beauregard s’était rabattue sur le Goncourt de Marcel Proust. Un roman qu’elle n’avait lu qu’en partie à ces moments perdus. Antoine était né rapidement... Antoine pour qui Carlo Blassis, Diaghilev, Nijinski Rudolph Noureev ou Carolyn Carson... ne diraient jamais rien.
-X- Sculpture de l’art classique Grec -IVe s. montrant un athlète se nettoyant le corps avec un strigile.
-X- Anagramme de Rose
Au cours de l’année 1949, Madame Conte... sentit les premiers troubles s’installer à propos de son enviable, mais inaliénable condition de femme mariée. Cette année-là, Antoine faisait encore des dents pendant que son père s’usait les siennes à exercer sa prédestination naturelle d’homme libre, le plus souvent hors du domicile conjugal et jusque très tard dans la nuit. Le jeune énarque terminait sa formation à la tête d’une grande fabrique bonnetière installée à Troyes(X), et terminait de développer une spécialisation très appliquée dans le secteur plein de promesses des dessous féminins en fibre nylon.
-X- « Ancienne » capitale de la Champagne , dont l’image s’est fortement altérée, dégradée, corrodée, décomposée, putréfiée... au fil du temps et des pouvoirs successifs ¬— acharnés eux — à tenir les ficelles d’un petit monde de filous reconvertis dans l’art du fil à retordre et de la maille à partir avec la classe salariale... pour continuer se d’en foutre plein les fouilles aussi longtemps qu’on les laisserait tricoter leurs coups en douce dans leur coin...
« Monsieur le Comte » comme on l’avait tout de suite amicalement appelé à l’usine. L’année de leur déménagement en province. Les visites régulières d’Antoine chez le dentiste, le planning du personnel de maison, la couleur des fleurs en fonction des saisons... Madeleine avait alors commencé de s’ennuyer terriblement.
Elle regrettait : « Paris, son 9e arrondissement parisien, (le quartier de l’Opéra où elle avait laissé la plus part de ses amies d’enfance, celui du café de la Paix…) Les garçons du lycée Condorcet ; le 1er, le 2e... assez proches de chez-elle ; les films au Max Linder, des baisers volés dans les jardins du palais royal en sortant ! un flirt sans dommage sur Quai du Vert-Galant, le 1er plus sérieux devant la bourse, le 2e… le troisième, rue des Vertus (qui avait su tenir toutes ses promesses , et Madeleine n’avait pas voulu insister !) Le quatrième « un peu plus poussé », dans le marais… rue des mauvais garçons (et Madeleine avait préféré ce beau baiser-là un peu rude ! Le quatrième... et le cinquième que le garçon lui avait redonné pour la remercier « de lui avoir filé son numéro pour qu’il puisse la rappeler le lendemain »). La brasserie Lipp et puis Chez Georges dans le 6e, le café de Flore et ses amants célèbres (son côté romantique). Les deux magots, Verlaine, Arthur Rimbaud (tout le fric que Madeleine avait dépensé dans les cafés, mais elle ne s’en était pas vraiment rendue compte sur le coup !) Eugène Delacroix ; l’école des beaux arts, sa passion pour la sculpture et les colonnes statuaires, les calvaires, les bas-reliefs, les figurines, les idoles, les camées... La couleur rose claire aussi (un vieux rose pâle un peu jauni avec le temps). Madeleine aimait bien ces roses-là, toutes sortes de roses aussi et puis le bleu ! le bleu de Paris ferrocyanure potassoferrique, le bleu roi, le bleu de France... Le train bleu à la gare de Lyon, l’express très serré, les trains pour l’Italie ; Vérone, Venise, Florence, Pise, Rome et puis Capri… la Méditerranée, l’incroyable lumière bleutée qui baigne la grotte Azzurra à Capri ; les touristes allemands… (Madeleine n’oublierait jamais !) Non, jamais elle n’avait réussi à oublié Georg, un photographe de Göttingen, qui réalisait un reportage dans le sud de l’Italie… leur premier échange de politesses, leur virée inavouable au rez-de-chaussée du Louvre lorsqu’ils s’étaient retrouvés à Paris (Georg aimait bien Paris, et la sculpture aussi ! les enjolivures et les beaux ornements ; les tresses, les nattes et les rubans coincés dedans) le rez-de-chaussée... et le premier étage sous l’école italienne… Leurs adieux finalement, le deuxième… sous un triptyque de Rubens (Georg, marié, avait dû rentrer chez lui en Basse-Saxe). Madeleine était restée longtemps à pleurer sous la Victoire de Samothrace… Oui, Madeleine regrettait la sculpture gréco-romaine, la sculpture antique en général, et puis les bronzes dorés, sur le parvis néoclassique du Trocadéro aussi… sa rencontre avec Charles, le 16e… (mais elle n’avait jamais rien osé lui dire des quinze premiers qu’elle avait déjà rencontrés !… Ni des quinze premiers et encore moins de Georg non plus, le photographe de Göttingen qu’elle avait rencontré à Capri, pendant leur voyage de noces…) »
Cette année-là (et parce qu’elle n’avait vraiment rien trouvé d’autre à foutre d’un peu intéressant entre les quatre murs de leur petit hôtel particulier d’un quartier troyen, comme il en existe des répliques à l’infini de l’architecture bourgeoise du début du siècle dans toutes les villes de l’est de la France). Madeleine... s’était jetée à corps perdu dans la lecture du Deuxième sexe(X)
-X- L’essai de Simone de Beauvoir sorti en 1949 marque une sorte de tournant définitif et irrémédiable dans les rapports qu’entretenaient ensemble les hommes et les femmes depuis la glaciation de Würm…. Deux ans plus tard, la « 17a ethinyl-19nor-téstostérone » synthétisée presque par erreur par Carl Djerassi, passa d’abord sous silence pour devenir en 1960 : « la pilule contraceptive » (soit le bout plausible et et enfin vraisemblable du tunnel glaciaire le plus long de l’histoire des rapports humains ; une guerre de 100 000 ans écartée des manuels officiels et de la chronologie masculine universelle). Une année encore marquée par la diffusion du premier Journal à la télévision française. À cette époque, personne ou presque n’avait la télé et tout le monde s’en foutait donc complètement ! Personne ne verra donc Mao Tsé Toung traverser le Yang-Tseu-Kiang avec son drapeau rouge tout neuf, butter au passage quelques centaines de milliers de ses compatriotes et fonder la république populaire de Chine dans le pire des bains de sang qu’il puisse s’imaginer, et le drame chinois ne faisait que commencer.
La fameuse « sensibilité féminine », écrit Simone de Beauvoir, tient un peu du mythe, un peu de la comédie ; mais le fait est aussi que la femme est plus attentive que l’homme à soi-même et au monde. Sexuellement elle vit dans un climat masculin qui est âpre. Elle a par compensation, le goût des « jolies choses », ce qui peut engendrer de la mièvrerie, mais aussi de la délicatesse ; parce que son domaine est limité, les objets qu’elle atteint lui paraissent précieux.../... elle subit la réalité qui la submerge d’une manière plus passionnée, plus pathétique que l’individu absorbé par une ambition ou un métier ; elle a le loisir et le goût de s’abandonner à ses émotions, d’étudier ses sensations et d’en dégager les sens...
Madeleine — dont une de ses relations m’avait confié qu’elle aurait toujours voulu s’appeler « Hélène » — avait dû abandonner d’un coup toute sa vie artistique pour l’organe minable de son vendeur de bas à la mode, et pour les murs gris d’une petite ville de province qui puait la teinture industrielle, le chlorure d’ammoniaque et les maladies ouvrières à plein nez. Sa soumission était totale, qu’elle décrivait en phrases impitoyables dans un journal intime rédigé à la manière de ses études de lettres. Une source de plaisir masochiste aussi, une certaine aptitude à l’orgasme, dont elle pouvait dorénavant mieux déchiffrer l’origine... Oui, la plupart des femmes qui sacrifient à leur orgueil deviennent frigides. Disait la philosophe... alors que pour Madeleine, voyez-vous ! je puis vous assurer qu’il eut fallu plutôt parler d’une sorte de prosternation consentie, d’une servilité totalement admise à l’endroit du rôle que son éducation lui avait assigné ; de sorte que cette disposition pour la docilité et la défaite, la soumission définitive à l’entretien de son foyer familial... lui permettait d’atteindre des limites considérables de volupté dans l’acte de fornication. Le précieux renseignement fut tout de même de taille pour tenter de trouver une cause vraisemblable à tout ce qui allait suivre. En conséquences et premièrement : Hélène... entourât Antoine, d’un amour exemplaire et sans restriction... son protégé, son petit « B. B. » (et tant pis si ça faisait chier « C » !) ne serait donc jamais danseur étoile ! Une décision irrévocable promulguée « une fois pour toutes » par le chef de famille, ce barbare... le vandale inculte et borné qui faisait jouir Madeleine pour les mêmes raisons qu’elle le détestât de ne n’être « qu’un sale pervers ambitieux à l’éducation franchement incertaine. Un sale petit bourgeois qui ne pensait qu’au fric. Une raclure de petit patron à l’instruction douteuse, et qui savait aussi profiter de sa situation avec son petit personnel ; oui ces petites secrétaires narcissiques, prêtes à tous les sacrifices pour mettre à l’épreuve leur complexe d’infériorité bien pratique ; les petites bonnes jalouses, les ouvrières, toutes ces coucheuses, ces bordéliques... »
C’est au fait que Charles préféra ce jour-là en rester sur ces bonnes paroles de sa femme au lieu de lui infliger la correction de sa vie, que Madeleine comprit le point de non retour qu’ils venaient d’atteindre ensemble. Une jouissance absurde, le trouble indéfinissable d’être enfin dégagée de toute obligation de promiscuité dans sa vie de couple. Pour la première fois de sa vie, Hélène se sentit libre, vraiment libre... et perdit en même temps toute forme de libido.
(À SUIVRE)
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