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Incompréhensions américaines (1) : 11 septembre 2001, Afghanistan et Irak

Publié le 03 mars 2009 par Sylvainrakotoarison
Les attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Irak, les ambitions nucléaires de l’Iran : c’est le troisième et dernier volet d’un excellent documentaire sur les relations entre l’Iran et l’Occident à l’occasion du trentième anniversaire de la Révolution islamique. Une occasion de montrer de bien grandes inconséquences des gouvernements américains. Première partie.
Je vous avais parlé de la première partie de l’excellent documentaire de Delphine Jaudeau, Paul Mitchell et Dai Richards "L’Iran et l’Occident" diffusée le 17 février 2009.
La deuxième partie portait sur la période entre 1982 (la guerre au Liban) et 2001 (les attentats du World Trade Center) diffusée le 18 février 2009 a été tout aussi passionnante.
Voici la troisième partie qui évoquait les relations entre l’Iran et le monde occidental de 2001 à 2006.
Encore des témoins à forte valeur ajoutée
Comme pour les deux précédents volets, des acteurs de premier ordre sont interrogés, entre autres : Vladimir Poutine en personne, des diplomates iraniens (dont l’ambassadeur d’Iran à l’ONU, Javad Zarif), le Ministre britannique des Affaires Étrangères Jack Straw, ses homologues américains Colin Powell et Condoleezza Rice, le diplomate britannique John Sawers, beaucoup de diplomates américains de haut rang (comme l’ambassadeur américain à l’OTAN Nicholas Burns devenu Sous-Secrétaire d’État pour les Affaires politiques, le conservateur et Sous-Secrétaire d’État John Bolton, le numéro 2 du Département d’État, aussi Sous-Secrétaire d’État, Richard L. Armitage, le directeur du Planning politique et délégué pour l’Iran Richard Haas) et aussi des diplomates d’autres pays européens comme le Haut représentant de l’Union Européenne, Javier Solana, et le Ministre allemand des Affaires Étrangères Joschka Fischer…
Si, du côté français, on appréciera le témoignage de Stanislas de Laboulaye, on regrettera l’absence d’intervention de quatre de nos Ministres des Affaires Étrangères de la période, à savoir : Hubert Védrine, Dominique de Villepin, Michel Barnier et Philippe Douste-Blazy et, plus généralement, on s’étonnera que ce documentaire donne très peu la place à la vision française des événements, en passant notamment sous silence l’intervention de Jacques Chirac le 18 septembre 2006 à l’ONU martelant : « Ne laissons plus les extrémistes dicter leur loi ! »
Les attentats du World Trade Center
L’assassinat du commandant Ahmad Massoud, chef de guerre afghan, a conduit Vladimir Poutine à téléphoner à George W. Bush pour lui dire que selon ses informations, un grave événement allait avoir lieu de la part des islamistes.
Le Président russe s’entretenant avec le Président américain sur la situation en Afghanistan, c’est un tableau assez surréaliste quand on se souvient de la guerre froide deux décennies auparavant.
Et en effet, deux jours après, les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain, attribués à la mouvance islamiste sunnite Al-Qaïda, terrorisaient le monde entier.
Saisissant cet événement, l’Iran a été parmi les plus rapides à exprimer sa compassion envers les victimes américaines. Voyant un moyen de se rapprocher des Américains, le Président iranien Khatami a condamné les attentats, parlé de chagrin et affirmé que l’Iran pleurait les morts américains.
Mieux : après le début des bombardements américains en Afghanistan (7 octobre 2001), l’Iran proposa aux Américains leur aide pour chasser les talibans en Afghanistan (également leurs ennemis). Colin Powell accepta et négocia en échange une levée partielle de l’embargo américain. Le 12 novembre 2001, grâce à l’aide iranienne, les Alliance du Nord prit Kaboul. L’Iran contribua avec les Occidentaux à mettre en place le nouveau gouvernement afghan du Président Hamid Karzaï.
Axe du mal et mal axé
Pendant deux mois, les Iraniens demandèrent donc un geste américain. Colin Powell, qui l’avait promis, ne parvint pas à avoir gain de cause. Richard Haas et Richard Armitage étaient d’accord mais Dick Cheney et Donald Rumsfeld contre.
Perdant une occasion de renouer les relations entre l’Iran et les États-Unis, le 29 janvier 2002, le Président George W. Bush, dans son discours sur l’état de l’Union, qualifia l’Iran d’axe du mal (avec l’Irak et la Corée du Nord). Pour l’Iran, c’est une nouvelle rupture.
L’Europe comprit cependant la nécessité de poursuivre les relations avec l’Iran.

C'est surtout Jack Straw qui, avec ses homologues français Dominique de Villepin et allemand Joschka Fischer, garda le contact avec l’Iran pendant plusieurs années et chercha à convaincre les Américains de changer leur point de vue. En effet, les États-Unis ne voulaient pas traiter avec l’Iran tant que le régime théocratique n’était pas renversé. L’humiliation de la prise d’otages en 1979 était restée encore dans les mémoires.
Pourtant, l’Iran devenait essentiel pour réussir leur guerre en Irak. C’est ainsi que les Iraniens firent comprendre aux Occidentaux qu’ils proposaient leur aide aux Américains en Irak. Colin Powell avait été convaincu de l’intérêt stratégique de cette aide, mais il était assez seul au gouvernement américain.
Peu après la "fin" de la guerre en Irak, le 1er mai 2003, l’Iran fit une proposition d’accord très novatrice aux Américains : ces derniers annulaient les sanctions contre l’Iran et renonçaient à toute ingérence pour renverser la République islamique, et l’Iran transformerait le Hezbollah et le Hamas en partis politiques et aiderait à la résolution du conflit israélo-palestinien. Cette proposition était nouvelle car implicitement, l’Iran reconnaissait sa responsabilité dans les attentats islamistes en Israël et au Liban. Proposition rejetée par Colin Powell.
L’Europe, passerelle entre l’Iran et les États-Unis
En reprenant son bâton de pèlerin à Téhéran, Jack Straw eut alors ce dialogue surréaliste avec le Président Khatami : le ministre britannique lui reprochait de voir dans les défilés iraniens de grandes banderoles en anglais disant "à mort les Américains". Et Khatami lui répondit fort étonnement : « Oui, mais je vous avoue que j’ai été soulagé car avant, il était écrit : "à mort Khatami !" », reconnaissant clairement les difficultés auxquelles il était avec les conservateurs de son propre pays.
En 2004, lors d’une réunion entre les Ministres des Affaires Étrangères européens et iranien, Jack Straw devait s’excuser de son absence car il devait s’occuper d’une affaire grave : la prise d’otage de soldats britanniques en Irak.
Et le documentaire montre alors le cynisme de Kamal Kharrazi, son homologue iranien, ironisant en constatant que le refus américain de l’aide iranienne en Irak avait été très peu responsable avec ces mots : L’Irak « est un environnement très dangereux. C’était plus sûr quand Saddam Hussein était au pouvoir. » avec un rictus très froid. John Sawers lui fit remarquait que Saddam Hussein avait tué de nombreux Iraniens et Kharrazi de lui répliquer : oui, mais qui lui a vendu des armes ?
L’Iran demandait un geste pour lever l’embargo car son aviation civile manquait de pièces détachées. Le problème des Européens était de trouver des contreparties suffisantes pour les Iraniens.
Colin Powell était favorable à un accord. Les Européens obtinrent donc un rendez-vous avec les Américains pour en parler, pensant y trouver une évolution de leurs positions. Le numéro deux du Département d’État Richard Armitage, modéré et proche de Colin Powell, les accueillit pour faire le lien (Armitage explique dans le documentaire : « Je les ai accueillis pour qu’ils sachent qu’il y a des gens raisonnables dans la diplomatie américaine. » !).
Mais finalement, la réunion fut présidée par le très conservateur John Bolton. Ce dernier n’écouta pas les Européens et lut seulement une déclaration officielle dans laquelle les États-Unis refusaient tout dialogue avec l’Iran.
Témoin participant à cette réunion, Stanislas de Laboulaye exprime avec un style très imagé l’attitude de John Bolton : « Bolton nous a écoutés avec un visage qui ne bougeait pas. (…) Le voilà en train de lire comme un fonctionnaire soviétique un papier de fermeture totale. » (Stanislas de Laboulaye sera quelques années après ambassadeur de France en Russie et il vient d’être nommé ambassadeur au Vatican il y a quelques mois). Richard Armitage explique alors que John Bolton avait été placé au Département d’État par Dick Cheney.
La guerre en Irak montra en effet l’enlisement des Américains dans un pays qu’ils connaissaient à peine.
Le risque nucléaire iranien
Malgré tout, Jack Straw obtint à l’arrachée un accord avec les Iraniens pour stopper pendant trois mois leurs activités avec les centrifugeuses capables d’enrichir l’uranium en échange d’un avancement des négociations sur la levée de l’embargo.
Jack Straw raconte alors de façon cocasse qu’il se trouvait quelques jours après dans un train de banlieue pour aller se reposer, au milieu d’autres passagers, quand il reçut un coup de téléphone de Kamal Kharraz qui lui demanda de revenir sur l’accord pour permettre à l’Iran d’utiliser quelques centrifugeuses pour faire de la recherche. Pour rester discret, Jack Straw avait dû aller dans les toilettes du train et a dû arrêter la communication car quelqu’un voulait trop obstinément sa place (« tambourinait à la porte pour que je lui cède la place ») et que la demande était beaucoup trop importante pour être traitée dans ces conditions (assis sur une cuvette !). Jack Straw refusa par la suite, car il apprit que deux ans de recherche pouvait suffire pour avoir la compétence sur l’enrichissement de l’uranium.

Cette anecdote illustre à quel point les diplomates européens, unis à propos de l’Iran (et refusant à tout prix la division provoquée par la guerre en Irak) étaient convaincus de l’importance de renouer avec l’Iran et surtout de convaincre les États-Unis.
Dans le prochain article sur ce sujet, l'arrivée de Condoleezza Rice qui changea les vues américaines sur la question iranienne.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 mars 2009)
Pour aller plus loin :
De quoi fouetter un Shah (18 février 2009).
N’oubliez pas le Guide (20 février 2009).
Incompréhensions américaines (1) et (2).
Émission de France 3 "L’Iran et l’Occident" (17-18 février 2009).
Session de septembre 2006 à l’ONU : Bush, Ahmadinejad, Chirac.
Dennis Ross et les Iraniens.
Un émissaire français à Téhéran.
Gérard Araud.
Stanislas de Laboulaye.
Khatami candidat pour juin 2009.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=52440


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