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L'Ombre du double langage

Par Timotheegerardin


La barbarie, Cronenberg l'évoque par le bon bout. Le bout de la langue - sans mauvais jeu de mot car ici le petit bout de chair et la demeure de l'esprit sont désignés ensemble. Et dans deux langages différents, deux mondes apparemment étanches l'un à l'autre. Aux codes d'honneur du milieu vient se heurter la parole quotidienne d'une communauté familiale, à la sombre froideur de Viggo Mortensen la beauté maternelle de Naomi Watts, aux cadavres et aux meutres la fragilité du nouveau-né.
Pour ajouter à l'ambivalence l'anglais vient recouvrir maladroitement un russe guttural, toujours charnel. (Ironie du sort: j'avais vu La Mouche, du même Cronemberg, sur une télé russe avec une grossière doublure par-dessus les dialogues - ce qui n'avait fait qu'ajouter au gore un mélange monstrueux des langues... Expérience doublement traumatique donc, et qui trouve avec ce nouveau film un écho inattendu.)
Mais les deux mondes n'existent pas forcément qu'en opposition. Le sang de la jeune mère - celui, aussi, de l'égorgement qui ouvre le film - est bientôt celui de l'enfant, celui de la naissance. Forme de violence dialectique, donc, que Cronenberg n'aura de cesse d'entretenir - l'enfant s'appelle Christine: comme Christmas fait-on la remarque, comme pour pointer vers le chemin de la résurrection.
Hésitation constante entre froid et chaud, entre ombre et lumière, jusque dans des parallèles étonnants (Naomi Watts semble bien utiliser le même sèche-cheveux que celui qui servit à décongeler un cadavre...) Car il y a un lien, une ouverture inattendue entre les deux mondes, c'est un journal intime, une parole que nous entendons en voix off tout le long du film, parole de confession qui devient l'enjeu même de l'intrigue. Comme une échappée du monde des morts vers celui des vivants.
Qu'est-il fait de cette ouverture? C'est là que se posent les vraies questions sur la Promesse de l'ombre. Il semble bien, en effet, qu'après un tremblement, une vibration - qui est aussi celle de l'attirance entre l'homme et la femme, celle d'un amour possible - rien n'est fait de ce lien. Rien, la dialectique n'était qu'illusion sophistique. Ce qui demeure ce sont des attirances stériles, des sensualités sanglantes, des symboles de chair - les tatouages - qui mènent à la mort, et finalement à rien d'autre.
Les deux mondes seront restés étanches l'un à l'autre. Qu'est-ce, alors, que ce héros ambigu? Une révélation absurde fait de lui un agent russe infiltré et nous fait du même coup basculer dans l'intrigue policière. Cronemberg nous laisse alors à la contemplation d'un monde binaire, l'un, tout attendri, de la mère et de l'enfant, l'autre, sanglant, des combats et de la débauche. Le film lui-même semble avoir deux fins.
Preuve de subtilité ou désir de satisfaire dans un même geste les passions de tous: difficile à décider. Elle est trouble la fontière entre le portrait d'une ambivalence et l'hypocrisie d'un auteur - avouons-le, la posture d'auteur a aussi désormais une déclinaison commerciale. Probablement me faudrait-il mieux connaître l'oeuvre du cinéaste pour bien en juger...

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