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Boni de Castellane - Eric Mension-Rigau

Par Woland

Ceux qui se rappellent leurs cours d'Histoire sont sans doute toujours à même de répondre à la question fameuse : "Quel phénomène fut à l'origine du déclin de la noblesse en France ?"

Evidemment, les réponses risquent d'être assez nombreuses. Certains répondront par exemple, en un choeur unanime : "Louis XIV !", assimilant ainsi le Roi-Soleil - dont les mânes en seront certainement flattées - à l'une de ces manifestations plus ou moins mystérieuses qui ont eu raison des dinosaures. D'autres, remontant légèrement dans le Temps, accuseront le cardinal de Richelieu. Les plus naïfs en tiendront la Révolution de 1789 et Robespierre pour seuls responsables tandis que les plus obtus (et les plus sournois) dénonceront les Francs-Maçons. Quant aux pragmatiques, ils évoqueront tout simplement la Grande guerre, ce gigantesque point final apposé à l'épopée de tout un monde.

Or, à l'exception de celle relative à la franc-maçonnerie, toutes ces thèses se défendent et ont, de fait, contribué à la déchéance de l'aristocratie dans notre pays. Richelieu, oeuvrant pour Louis XIII, a posé les bases de ce pouvoir absolu dont Louis XIV allait si bien user, assignant les nobles à l'oisiveté dorée de Versailles, de laquelle ils ne sortaient que pour aller au combat, et toujours dans l'ombre terrible et consumante du Soleil. S'avançant après les Lumières du XVIIIème et plus innocente qu'on ne le croit, la Révolution s'est bornée à faire le ménage dans cette classe sociale qui, déjà mais sans en avoir conscience, n'avait plus aucune raison de survivre à la modernité en marche, et la Grande guerre, en remettant pour longtemps les clefs de l'équilibre mondial aux Etats-Unis d'Amérique, n'a fait, en somme, qu'enterrer les derniers cadavres d'un ordre depuis longtemps zombifié.

Cependant, la cause véritable du déclin et de l'agonie de la noblesse, c'est avant tout la perte absolue de ses valeurs premières : valeurs guerrières mais aussi valeurs politiques vouées au service d'un suzerain, d'un royaume, d'un dieu et d'un certain idéal de vie. En y renonçant, l'aristocratie se condamnait, à plus ou moins long terme.

Minutieuse, se perdant parfois dans des préciosités qui conviennent à l'objet de son étude, un peu trop hagiographique à mon goût et pas assez critique, la biographie consacrée par Eric Mension-Rigau à Marie-Ernest-Paul-Boniface, comte de Castellane-Novejean, dit Boni de Castellane - le dernier sans doute des dandies de la IIIème République - n'affirme pas autre chose.

Né dans une antique famille dont le dernier comte-souverain avait affronté ni plus ni moins que Charles d'Anjou, propre frère de Louis IX (alias Saint Louis), pour la possession de la Provence, Boni avait pour grand-mère paternelle Pauline de Talleyrand-Périgord, que la rumeur publique disait fille non d'Edmond, duc de Talleyrand et duc de Dino, mais plutôt de l'oncle de celui-ci, le fameux Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ex-évêque d'Autun, ambassadeur de la Première république française, puis ministre sous le Directoire et l'Empire avant de redevenir ambassadeur sous les deux Restaurations et la Monarchie de Juillet, l'indéboulonnable "Diable Boiteux" dont la trahison inspira à Napoléon Ier un mot aussi grossier que lapidaire.

C'est dire que Boni de Castellane avait ses entrées dans le monde particulier du Faubourg Saint-Germain. Son mariage avec Anna Gould, héritière du richissime financier américain Jay Gould, ne devait pas les lui fermer, bien au contraire : depuis longtemps déjà, les représentants de la noblesse avaient appris à survivre en vendant leurs quartiers.

Quand Anna, dont la fortune avait été largement entamée par son dispendieux époux, finit par demander le divorce, Boni se décida à "travailler", négociant cette fois-ci son goût, qui était infini et de bon ton, pour orner les châteaux et les hôtels particuliers de ses relations.

En dépit de l'activité diplomatique de Boni et de son intérêt pour la politique, c'est là une vie bien superficielle pour le descendant d'une si fière lignée, un personnage qui, par ses excès et son sens de la mise en scène, préfigure en un sens la "peoplisation" à tous vents si chère à notre société schizophrène.

Par un certain panache qu'on ne peut lui dénier, Boni de Castellane méritait un petit salut. Maintenant, son destin anémié méritait-il une si longue biographie, c'est une autre histoire. ;o)


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