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La vague : les eaux troubles de la nature humaine

Publié le 08 mars 2009 par Boustoune


La vague - 7

« Pensez-vous qu’une nouvelle dictature soit possible [en Allemagne] ? »
C’est la question que pose Rainer Wenger au groupe d’élèves qui lui a été confié, dans le cadre d’une semaine pédagogique et civique ayant pour thème l’autocratie.
Bien sûr que non, répondent ses élèves. On leur a tellement insisté sur le passé peu glorieux du pays et la barbarie de l’Allemagne nazie, on leur a tellement rabâché que le fascisme est une idéologie néfaste qu’ils ne pourront pas commettre les mêmes erreurs que leurs grands-parents et arrière-grands-parents…


Vraiment ? Le prof tente alors une expérience. Il propose aux élèves de tenter de recréer une autocratie « idéale » dans le microcosme de la salle de classe. Un jeu auquel vont se laisser prendre les jeunes gens, qui vont se trouver un leader, le professeur, un nom, « la vague », un uniforme, un logo… ils vont même créer un site internet et des T-shirt à l’effigie du groupe, dont les liens se font de plus en plus forts. Mais peu à peu, les choses vont déraper sérieusement, et le professeur va perdre le contrôle de ce qui n’était au départ qu’un simple exercice…


Le film de Dennis Gansel prouve qu’il faut répondre par l’affirmative à la question posée et démonte les mécanismes qui transforment une valeur positive – la solidarité d’une communauté – en une emprise totalitaire.
Au début, le jeu est plutôt amusant. Le professeur, plutôt du genre cool et permissif d’ordinaire, est finalement ravi de voir ses élèves accepter les notions d’ordre et de respect comme éléments fondateurs d’une autocratie. De leur côté, les élèves semblent apprécier la confiance qui leur est accordée. Les plus effacés prennent des initiatives, ceux qui sont d’ordinaire un peu marginaux sont désormais acceptés par le reste du groupe. Dans ce groupe, ils sont tous à égalité, bons et mauvais élèves, riches et pauvres. L’entraide est le maître-mot. Les petits exercices proposés - marche au pas, port de l’uniforme,… - sont bien acceptés par la majorité des élèves. Ceux qui osent protester ou manifester leur différence sont aussitôt mis à l’écart par les autres, spontanément, sans qu’aucune demande ne vienne du leader. Celui-ci n’est d’ailleurs plus présent quand, hors des murs du lycée, les jeunes gens décident d’étendre le groupe à d’autres membres, ni quand ils se mettent à taguer le logo de « la vague » sur de nombreux buildings de la ville. Peu à peu, ce qui ressemble plus à une secte qu’à une classe cherche à imposer son idéologie aux autres, quitte à user de violence ou d’intimidation… Le constat est édifiant, et fait froid dans le dos…


 

L’histoire n’est pas crédible, pensez-vous ? Trop caricaturale, trop facile pour être vraie ?
Le scénario s’inspire pourtant de faits réels. L’expérience de « la troisième vague » (1) n’a pas eu lieu en Allemagne, mais à Palo Alto, en Californie, et s’est déroulée à la fin des années 1960, sous la houlette d’un professeur d’histoire du nom de Ron Jones. (2) Certes, cette méthode d’enseignement extrême n’a pas eu les mêmes conséquences dramatiques que celle du film de Dennis Gansel, qui a le tort de proposer un dénouement un peu trop mélodramatique (3). Mais le processus de conditionnement psychologique, les méthodes employées, la rapidité avec laquelle l’idéologie fasciste s’est propagée dans le groupe et le moment où les choses ont commencé à échapper à tout contrôle sont rigoureusement les mêmes : Jones a lui aussi débuté en mettant en avant les vertus de la discipline, établissant le parallèle avec les champions sportifs. Puis il a exalté la valeur de la communauté, la cohésion du groupe avant de lui donner un nom, « la troisième vague » et de proposer un signe de ralliement, en fait un salut utilisé par les nazis en Allemagne. Dès le troisième jour, l’expérience a dégénéré, certains jeunes se sont investis dans l’exercice plus que de raison. Des dissensions ont vu le jour entre les élèves, et ceux qui ne respectaient pas les règles édictées ont été spontanément dénoncés à l’enseignant. Le Quatrième jour, des élèves d’autres classes se sont joints de manière délibérée au mouvement, entraînés par les lycéens de Jones, gonflant les rangs de trente à quatre-vingt membres. Et surtout les jeunes gens avaient mis en place une police secrète reposant sur l’intimidation et la force… Le professeur a eu la bonne idée de mettre fin à l’expérience avant que cela ne finisse mal. Il a réussi à convoquer pour une grande réunion tous les membres de la « troisième vague », pour leur dévoiler la supercherie, puis leur a expliqué pourquoi et comment ils avaient été manipulés.

Certains objecteront sans doute que cette histoire d’expérience est sujette à caution. Il est vrai que le déroulement exact des événements fait l’objet de versions discordantes. Et après ?
Que le long-métrage retranscrive avec exactitude ou non la véracité historique des faits importe peu. L’essentiel, c’est que Dennis Gansel réussit à générer un certain malaise tout au long du film, en jouant sur l’ambiguïté des personnages, sur la force des situations et en poussant le spectateur à se remettre en question, à s’interroger sur ce qu’on lui donne à voir.


Les pistes de réflexion sont nombreuses.
La première concerne l’éducation parentale. Comment élever un enfant ? Comment lui inculquer ce qui est juste ou non sans influencer son jugement propre ? Une éducation trop rigide peut créer un sentiment de rébellion qui aura les effets contraires à ceux souhaités. Une éducation trop permissive peut au contraire, comme semble le démontrer le film, pousser les jeunes à rechercher une autorité de substitution, auprès d’un autre adulte ou au sein d’un collectif.
Il y a aussi l’éducation scolaire, le rôle des professeurs. Là aussi, les méthodes divergent. Le vieux prof, très classique et conservateur, ne passionne pas ses élèves et il est probable que les valeurs qu’il enseigne ne sont pas du tout assimilées par les étudiants. En revanche, Wenger joue la carte de la proximité pour s’attirer les faveurs de ses élèves. Il demande à ce qu’on le tutoie et qu’on l’appelle par son prénom, il se met sur un pied d’égalité avec eux. Un comportement jugé inapproprié par la plupart des autres professeurs. Pourtant, il arrive mieux que la plupart d’entre eux à capter l’attention des jeunes lycéens. Mais là encore, le procédé est à double tranchant. C’est parce qu’il est plutôt ouvert et sympathique que Wenger parvient à embrigader ses élèves aussi facilement.

 

Où s’arrête l’apprentissage ? Où commence la manipulation d’esprits encore immatures ?La frontière est trop floue et il est bien difficile de répondre à ces questions complexes.Oui, dans ce film, tout est histoire de frontières. L’ordre et la méthode sont une garantie de paix et de sérénité, mais un excès peut avoir des conséquences néfastes. L’uniformité permet une certaine égalité entre les individus, mais elle peut porter atteinte aux libertés, au droit à la différence. La solidarité, la fraternité sont des vertus fondamentales, mais l’effet de groupe peut avoir des effets pervers s’il repose sur des idées nocives…L
es personnages les plus positifs du film, les plus sains, présentent eux-mêmes une certaine ambiguïté. A plusieurs reprises, Wenger semble se laisser griser par le pouvoir que lui procure son statut de leader. Lui qui est tenu à l’écart des autres profs trouve en « la vague » un groupe qui le respecte. Karo, la bonne élève n’accepte pas les règles édictées par le mouvement, mais ce rejet est peut-être plus lié à son changement de statut dans la classe, où elle est redevenue l’égale des autres, qu’à de profondes convictions politiques… D’ailleurs, son égocentrisme et son attitude un peu hautaine vis-à-vis de ses camarades les plus faibles ont aussi contribué, d’une certaine manière, à assurer la cohésion du mouvement, ligué contre celle qui les faisait auparavant passer pour des minables…


Autant de points qui illustrent la difficulté de vivre en communauté, pourtant une chose essentielle, fondamentale, et la fragilité de nos sociétés, en équilibre précaire. Il suffirait de peu de choses pour faire replonger le mode dans le chaos : des tensions ethniques, des problèmes économiques, une crise énergétique… Les partis extrémistes ne sont jamais aussi forts qu’en cas de grand désarroi de la population, quand leurs discours fédérateurs parviennent à faire vibrer la corde sensible des plus faibles.


Pour maintenir l’équilibre, et continuer de vivre dans une sérénité relative, il convient de rester constamment vigilant. A chacun de faire l’effort de se remettre en question, de faire attention aux autres et à ses propres dérives. Et de se souvenir qu’il est facile de basculer dans l’intolérance et la barbarie. Le passé est là pour en témoigner, riche en enseignements. Œuvre forte, troublante et passionnante, La vague opère comme une piqûre de rappel salutaire…


Note :

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(1) : pour plus de détails sur l’histoire originale, cliquez ici 
(2) : A noter que Ron Jones sera présent mardi soir à l’UGC Ciné-Cité Les Halles (Paris) pour un débat avec le public, après la séance de 20h15
(3) : En fait, l’histoire de Ron Jones, révélée à la fin des années 1970, a déjà fait l’objet d’un téléfilm The Wave, qui prenait quelques libertés avec la réalité. C’est ce téléfilm qui a inspiré le roman « La vague » (4) à l’écrivain allemand Todd Strasser, qui a lui-même encore réaménagé l’intrigue. Et c’est ce roman qui a inspiré le film de Dennis Gansel.
(4) : « La vague » de Todd Strasser – ed. JCG



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