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Flamme soufflée

Par Celinouchka
J'ai gratté une allumette dans la pénombre de la pièce, allumant du coup quelques bougies mal brûlées, déformées par la chaleur de leur flamme. Ma tête était lourde et vide en même temps, comme une sorte de pesanteur ambiante régnait dans la pièce. En tournant la tête, je voyais ces articles de journaux, tantôt décoratifs, tantôt parlants, ces images, ces photographies imprimées sur un coup de tête, et ces quelques mots poétiques ornant la pièce.
Et je me suis demandé à quoi bon.
Je me suis assise, ai ouvert le carnet, sorti la plume, mais rien ne voulait couler, ne pouvait couler.
Le coeur était resté bloqué, sur ces mots, sur cette stupidité, sur ce ridicule qui me faisait un châle bien trop chaud, trop serré.
J'ai regardé devant moi, ai vu ces livres, écornés, achetés dans un bazar, l'ambiance autour des cartons, toutes ces personnes cinquantenaires tournant autour, et moi, comme un extraterrestre, cherchant fièvreusement mon bonheur dans des pages déjà tournées tant de fois. La musique de foire au loin, l'odeur d'automne qui m'environnait, et j'ai baissé les yeux, vers ces pages blanches.
En tournant la tête, j'ai revu ces partitions, sur lesquelles trônait un programme d'audition. Dimanche, une semaine, ai-je murmuré. Je savais, à ce moment là, qu'une semaine ne me suffirait jamais, Bartók ne rentrerait pas, le massacre serait terrible, et mis à part le silence de mon professeur, j'aurais droit à la critique familiale, aux mots déjà exprimés tant de fois par cette personne, qui me dirait que je vaux rien, que ma musique est fausse, que ma posture est horrible, et mon son inerte. Je savais que mes larmes seraient dans ma gorge, et que je partirais, sans les écouter, comme toujours, comme à chaque fois.
J'ai fermé les yeux, pensé à mercredi, pensé à cet examen que j'aurais bientôt, que je ne passerais pas non plus, à ce rythme là. Quartes, quintes, sixtes et septièmes, besoin de trouver des repères, ambulance, Verdi, Chopin, mémorisation, le piano hurlant sa violence dans la pièce vide, accompagnant avec douleur ma voix tremblante, fausse.
Syndrome de clarinettiste, j'ai pensé à cette dictée qui me guette, où je mélangerais tout, do n'étant pas sib. J'ai pensé aux ostinati, au ternaire-binaire, et je me suis demandé à quoi bon.
J'ai rouvert les yeux, attrapé une bougie, joué avec, laissant la cire me brûler les doigts, couler sur mes phalanges, les briser intérieurement. La douleur dans l'annulaire droit est revenu, comme un froid, glaçant ce doigt torturé par des liens jamais demandés, jamais brisés.
J'ai repensé à ses mots, en ukrainien, en russe, chantant, comme une mélodie, riant, en voulant m 'apprendre à prononcer ces mots dans sa langue maternelle. Bonjour, bonne nuit, merci, oui, non,..
Banalités, écorchement de ma langue sur ces syllabes, de la sienne en allemand, nous apprenant l'une l'autre une langue, patiemment, en riant.
J'ai repensé à ces fous-rires, si ridicules, syndromes de deux jeunes filles qui ne sont séparées que par la culture, qui ne veulent qu'échanger, et vivre.
En baissant la tête, le carnet était toujours là, blanc, vide, obsédant.
Un tambour battait dans ma tête, sur mes tempes, j'ai griffoné, quelques mots, par habitude, non sens.
Je me suis couché, ai éteint toute lumière, me suis enfoncé dans la nuit, sous mon duvet, dans un nid douillet et sur, qui ne l'était plus. L'horreur m'entourait, me glaçant entièrement, la fatigue me prenait, m'emmenait sur son bateau de fer, me guidant dans un pays où les rêves n'existent plus, où seule la ténèbre sert de soleil.
J'ai refermé ces pages restées vierges, et j'ai eu honte, honte de ma vie, honte de moi, honte de mes mots, si vides, si détournés. J'ai eu honte de l'espoir que j'ai fait naître et que je n'ai pas sur concrétiser, honte de mon malheur, honte de mon bonheur, honte de moi.
Mon coeur s'était refermé, la flamme avait été soufflée, ou plutôt étouffée par un espoir vain, par une échéance trop proche, par un rêve rêvé seulement, et non vécu.
Je me suis retourné, et je suis partie, loin, loin, loin, vers l'infini, l'au-delà, loin du rêve, loin de la vie, loin de l'espoir, pour une nuit, deux nuits, quelques nuits, quelques jours, ou une éternité, peut-être.

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