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"Nombres, de zéro à onze" (une lecture de Ronald Klapka)

Par Florence Trocmé

Nombres
Eric Chevillard ne s’en laisse pas compter, et pourtant quel conteur. Dans une énumération si bien chiffrée que le chiffre n’en apparaît jamais, surgissent ainsi « les douleurs de vos vierges et les vies de vos chats ». Perplexité ? Votre langue aux seconds, vos prières aux premières. L’auteur a tiré au sort une figure qui tel/le le génie veut être délivré/e de la malédiction. Pour cela recourt à la magie de la langue. Mieux donc qu’un exercice de style tout empreint d’humour, une charmeuse revendication de poésie, celle d’ « une aile de papillon voguant sans but dans le vent fortuit et les plus légers courants d’air ». Sans doute a-t-il tiré le bon numéro, mais le recours à la prosopopée : « Ne comptez plus sur moi pour dénombrer vos jours » s’avère particulièrement efficace pour jouer et se jouer de tous glissements de sens.

Autre bon et beau joueur, mais lui fait entendre le son du nombre au fond des bois, inscrit en corps onze, pour une partie carrée assez endécasyllabique : Christian Prigent. En vis-à-vis de cette abaque rimée et rythmée, un tableau de Vladimir Velickovic. Lui aussi a tiré le onze.

Ainsi se retrouvent-ils et elles, écrivains et plasticiens, deux douzaines pour répondre à la commande de Stéphane Cohen, directeur de la collection KB chez Biro éditeur : un nombre – de zéro à onze - , un auteur, un artiste.
Plutôt que l’ordre alphabétique, ci-après, l’ordre d’apparition pour les citer, et sans les apparier, puisqu’il y eut deux chapeaux, deux tirages.
Alain Borer, François Bon, Marie N’Diaye, Maryline Desbiolles, Marc Villard, Martin Winckler, Emmanuel Pierrat, Eric Chevillard, Jean-Marie Laclavetine, Gilbert Lascault, Christine Montalbetti, Christian Prigent.
Patrick Zachmann, Ra’anan Levy, Gérard Fromanger, José David, Ivan Messac, Zao Wou-Ki, Josef Nadj, Richard Texier, Sharon Stepman, Florence Miailhe, Jeffrey Blondes, Vladimir Velickovic.

Voilà qui donne dans un premier temps un livre très agréable à feuilleter, puis à lire, dans l’espace restreint de la page : chaque auteur tel qu’en lui-même ! Ensuite, à rêver au sujet de correspondances, résonances possibles entre texte et œuvre, ainsi « Cinq pour toi, mon fils ! » de Martin Winckler, et la zébrure du Cinq de Zao Wou-Ki, comme autant de signes de chance éclairant une vie. Peut-être eût-on dit autrefois cabalistiques.

Manifestement, les auteurs se sont prêtés au jeu de bonne grâce, certains avantagés par une pratique de longue date des jeux verbaux, et un tirage qui les favorise, tel Gilbert Lascault en sa « citadelle des neuf caprices » qui prend, sans restriction aucune, plaisir à lutiner les Muses. En revanche, la phrase unique de Marie NDiaye tient doublement du prodige, et je lui réserve son mystère numérologique…

Contribution de Ronald Klapka

Nombres, de zéro à onze
Chez Biro éditeur,
56 pages, 12 reproductions en couleurs
16,5x19,5 cm
Broché avec rabats, 18 €

En librairie le 17 mars.


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