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Max Jacob et le jeune homme

Par Savatier

 Les documents littéraires inédits présentent toujours un intérêt, surtout lorsque l’auteur en est Max Jacob, personnage complexe dans son œuvre comme dans sa vie. Lettres à un jeune homme (Bartillat, 140 pages, 14€) réunit en un volume les missives que l’écrivain adressa de 1941 à 1944 à Jean-Jacques Mezure, un jeune admirateur de 19 ans. On aurait pu redouter la Nième version des « conseils du maître à son élève », faits de banalités aimables voire, comme en écrivait à tours de bras Victor Hugo aux jeunes poètes qui lui adressaient des vers, de commentaires positifs dont il ne pensait pas un mot et qui entretenaient, la plupart du temps, d’inutiles illusions. Il n’en est rien. Les documents ici réunis sont d’une portée bien différente et l’on peut regretter qu’il ne reste de cette correspondance qu’une cinquantaine de lettres sauvées d’un bombardement de la maison familiale.

1941, l’Occupation. Jean-Jacques Mazure se cherche – c’est bien normal à son âge. Etudiant en céramique, tenté par l’art et l’écriture, il est aussi chrétien pratiquant. Avec lui, très rapidement, se noue une relation épistolaire intime à travers laquelle Jacob, outre les conseils qu’il lui prodigue, se livre en toute simplicité. Il lui parle d’esthétique, de littérature :

« La poésie n’est pas un métier, certes, hélas ! La littérature en est un… Peut-être… A condition de sacrifier au goût du public : ʺ Vous ne pouvez savoir la souffrance que c’est d’être obligé de servir le goût du public ʺ, m’écrivait Céline. Comme je n’ai jamais su le faire, je n’ai eu que de brefs succès d’estime… Et encore ! En vase clos… »

Au fil des lettres, les noms de Picasso, Apollinaire, Matisse, Salmon s’égrainent, comme autant de souvenirs d’une époque parisienne à laquelle il a choisi de renoncer pour sa retraite spirituelle de Saint-Benoît. On ne s’étonnera donc pas que l’un des thèmes les plus abordés ici reste la religion. Baptisé en 1915, son projet de conversion date de septembre ou octobre 1909 et de cette « apparition » christique sur le mur de sa chambre montmartroise qui surprit ses amis, au point que certains attribuèrent ce « miracle » à une hallucination provoquée par son penchant bien connu pour l’éther. Pourquoi attendit-il six années pour recevoir le baptême ? Si l’on en croit une lettre adressée à son cousin Jean-Richard Bloch, il se serait décidé dans les semaines qui suivirent une seconde « apparition », sur la toile d’un cinéma de la rue de Douai. Sans doute redouta-t-il aussi la réaction de sa famille, de son père, surtout, que son passage d’un judaïsme, même non pratiquant, au christianisme aurait pu choquer. On sent toutefois, à la lecture de sa correspondance (pas seulement celle objet de ce livre), une évidente communauté d’esprit avec la religion catholique. L’importance accordée au péché de chair lui permettait plus facilement de se détourner, au nom des dogmes, de son homosexualité. Lui qui, en outre, faisait preuve d’une assez constante haine de soi avait pu reconnaître un univers familier dans une religion qui accordait une importance capitale à la confession, la contrition, la mortification et encourageait ses fidèles à lutter contre les tentations induites par leurs instincts. Ainsi, écrit-il à son jeune correspondant : « Ayez plutôt des rapports avec ce digne prêtre qu’avec un pécheur comme moi qui vit de plus en plus hors du monde, accablé de remords et de repentirs noirs. Croyez-moi ! Je suis indigne de votre respect. » A quelques mois d’intervalle, il ajoute : « Je souhaite les fléaux qui feront de moi un être doux et humble de cœur. Je les souhaite et je souhaite une souffrance comme l’écharde dans la chair dont parle saint Paul. »

Volontiers prosélyte, comme la plupart des nouveaux convertis, il n’en conserve pas moins

une vision lucide de la vie. Lorsque Mezure lui fait part de son désir de devenir prêtre, il lui répond sans détours : « Certes, nous avons grand besoin de prêtres ! Mais voilà une vocation bien soudaine ! Es-tu déjà dégoûté du monde que tu ne connais pas encore ? »

En revanche, certaines expressions de sa foi surprennent : cet intellectuel qui a fréquenté l’avant-garde artistique abdique tout sens critique, dès qu’il est question des textes (pris à la lettre) ou du dogme. Sa foi semble souvent celle du charbonnier, comme lorsqu’il affirme : « Il n’y a pas de jours où je ne me félicite de ne pas m’être marié, c’est tout. A cause de la stupidité absolue de toutes les femmes, stupidité reconnue par tous les hommes supérieurs et par l’Eglise. »

Au-delà de l’aspect spirituel développé dans ses lettres, celles-ci apportent un témoignage tout à fait intéressant sur sa vie quotidienne, ses relations avec les habitants de Saint-Benoît, le clergé local, ses soucis financiers qu’il tente de résoudre en illustrant, pour des bibliophiles, quelques éditions originales de ses livres, les difficultés qu’il rencontre, dans ces années de guerre, à se nourrir. A partir de juillet 1942, l’ombre de son destin plane sur ses lettres : « Je pense que tu es au courant des événements qui pèsent sur ma famille et ma race » écrit-il après la rafle du Vel’d’Hiv. Le 3 janvier 1943, il annonce la récente arrestation de son frère Gaston, le 20 janvier 1944, c’est le tour de sa sœur Myrté-Léa. Tous deux seront gazés à Auschwitz. Conscient du danger qui le menace, il refuse pourtant les propositions de fuite qui lui sont faites. « Ne te mets jamais ʺhors la loiʺ, conseille-t-il. On ne s’en relève pas ! Obéis ! Prends les épreuves que Dieu te donne ! » Etrange soumission, singulière passivité (inspirée, sans doute, de l’épître de Paul aux Romains dans laquelle l’apôtre enjoignait les membres de sa communauté d’obéir à ceux qui détenaient le pouvoir…) qui préfigure son arrestation, son emprisonnement et sa mort, le 6 mars suivant, au camp de Drancy. Ce refus de toute résistance prend une autre dimension lorsqu’on sait que le poète s’était lié d’amitié, avant guerre, avec un jeune sous-préfet du Finistère qui choisira comme nom de guerre son prénom, Max, et qui s’appelait Jean Moulin…

Illustration : Max Jacob, photographie de Carl van Vechten.


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