Un moustachu masqué, Gilbert Montagné en armure de Batman, un blondinet déguisé en Robin, un émule de Bogart avec une cagoule en peau de vache sur la tête, le schtroumpf nudiste et une pin-up en combinaison moulante, en latex jaune et noir (rhâââ lovely…), ça vous évoque quoi ?
Des fous échappés de l’asile ? Les Village people ? Les invités d’une soirée costumée (ben alors, on t’ voit plus aux soirées…) ?
Perdu ! Ces six-là, ce sont les Watchmen, un groupe de justiciers masqués chargés de veiller sur la sécurité de leurs concitoyens. J’en vois déjà râler : « Pfff, encore des super-héros… Encore des combats épiques interminables contre des super-vilains, montés façon puzzle, encore des tourments existentiels et la vieille morale américaine à deux balles… Et nianiania… Quel intérêt de faire de nouveaux films de super-héros, après les Batman, Superman, Spiderman, Iron-man et autres Yes man (euh…) ?».
La différence, c’est que Watchmen, les gardiens n’est pas du tout un film de super-héros classique, plutôt un film noir teinté de science-fiction et d’anticipation. Il s’agit en fait de l’adaptation du comics-book d’Alan Moore et Dave Gibbons (*), considéré par beaucoup comme un chef d’œuvre de la bande-dessinée, voire de la littérature anglo-saxonne au sens large (on emploie souvent le terme de « graphic-novel » (roman-graphique) pour parler des écrits d’Alan Moore).
Le contexte du récit annonce déjà l’originalité et l’ambition de l’œuvre. Watchmen, les gardiens se déroule en 1985, mais pas tout à fait l’année 1985 telle que nous l’avons connue –pour celles et ceux qui étaient nés à l’époque, bien sûr… Moore a réécrit l’histoire. Dans son univers, la guerre froide entre les deux blocs rythme toujours la vie de la planète, mais le conflit est sur le point de dégénérer en troisième guerre mondiale, nucléaire cette fois. Le Watergate n’a pas eu lieu. Richard Nixon est à la tête des Etats-Unis pour un cinquième mandat consécutif, après avoir bidouillé la constitution. Les américains ont gagné la guerre du Vietnam grâce aux pouvoirs surhumains de Dr. Manhattan. Suite à une expérience nucléaire qui a mal tourné, ce dernier est en effet devenu capable de changer de taille, de lancer des éclairs, de se téléporter ou de téléporter des objets obtenus, mais aussi de prédire sn propre futur. Il est le seul, parmi les six justiciers, à posséder des pouvoirs. Les autres ne sont que de « simples » humains, juste un peu plus doués pour la castagne que leurs semblables. Et de toute façon, ils ont été priés de raccrocher les masques suite à une série de manifestations pacifistes.
Exit, donc, le Comédien, héros violent et ultraconservateur, pour ne pas dire carrément facho. Dans le générique, on le voit assassiner Kennedy, puis prendre du plaisir à tuer les Viêt-Cong pendant la guerre… Un bonhomme pas franchement sympathique…
Exit aussi Ozymandias et le Hibou de nuit, qui sont retournés à une vie normale. Le premier a fait fortune en révélant son identité secrète et en produisant toute une gamme de produits à son effigie, tandis que le second est retombé dans l’anonymat le plus complet.
Le Spectre soyeux n’est plus en activité non plus. Elle épaule cependant dans ses recherches le Dr. Manhattan, son compagnon, mais souffre de le voir progressivement se détacher d’elle – et de l’espèce humaine…
Seul Rorschach poursuit son travail de justicier, en toute clandestinité, traquant les criminels et appliquant sa propre justice, expéditive. C’est un individu violent, ayant basculé dans la folie…
Un sociopathe grossier et violent, un mégalomane, un type frustré et dépressif, une femme délaissée, un demi-dieu qui n’est plus capable d’éprouver des émotions, un vengeur impitoyable, sans parler des personnages secondaires, rongés par l’alcool ou la maladie : on est ici bien loin des archétypes de gentils super-héros tels qu’ils sont déclinés dans les comics-books habituels, même les plus sombres d’entre eux…
C’est ce qui rend passionnant le récit de Moore - et le film de Zack Snyder, qui en est l’adaptation très fidèle, tant sur le fond que sur la forme.
Comme pour sa transposition sur grand écran du 300 de Frank Miller, le cinéaste a préféré rester très proche du matériau original pour mieux se concentrer sur l’aspect esthétique du film et les effets visuels. S’il a évidemment été obligé de couper certaines histoires annexes du bouquin – un gros pavé de 400 pages – il n’a apporté que de petites retouches à l’intrigue principale, et en a conservé toute la densité.
Difficile de résumer cet entrelacs d’histoires qui mêle passé et présent, qui oscille entre des genres différents – polar, anticipation, romance, drame,… - et ménage bien des rebondissements. Le scénario débute par l’assassinat du « Comédien ». Par qui ? Pourquoi ? Ce sont les questions auxquelles va tenter de répondre Rorschach, qui soupçonne un complot visant à éliminer tous les membres des Watchmen. Il va essayer d’alerter ses anciens partenaires, mais ceux-ci ont d’autres soucis en tête. La guerre froide est sur le point de se réchauffer sérieusement, les dirigeants des deux blocs semblant prêts à user de leur incroyable arsenal nucléaire, et à ravager l’humanité… Le script combine grande Histoire et petits destins, traite subtilement de sujets polémiques – le nucléaire et ses conséquences, l’impérialisme belliqueux des Etats-Unis, les dérives du capitalisme…
La bande dessinée a été publiée en six volumes, chacun centré plus précisément sur un personnage, et l’ensemble est découpé en douze chapitres, comme le cadran d’une horloge. Un chapitrage qui permet à Snyder de s’appuyer sur une narration parfaitement structurée, qui prend le temps de développer chaque personnage, sans avoir à se livrer à des ajustements scénaristiques qui auraient froissé les fans du comics-book original – et ils sont nombreux. L’inconvénient, c’est que si cette forme n’est pas gênante pour une BD qui progresse par épisodes complémentaires et au gré du rythme de lecture de chacun, elle n’est pas forcément aussi performante au cinéma. Le film souffre ainsi de quelques longueurs et de baisses de régime, d’autant que, du fait du dégraissage du matériau original, certains personnages sont plus fades que d’autres (le Hibou de nuit, Ozymandias, le Spectre soyeux sont loin d’avoir l’épaisseur du comédien, et surtout de Rorschach) et que l’action est assez rare.
Cela dit, quand elle survient, c’est spectaculaire. La séquence de l’émeute carcérale, par exemple, est un joli morceau de bravoure. Snyder ne rechigne pas sur la brutalité et le gore. Ni sur le sexe. Mais attention, rien de tout cela n’est gratuit. Là aussi, le cinéaste a totalement respecté le comics- book original, résolument adulte Sexe et violence sont indispensables pour dépeindre cet univers fait de folie et de frustrations, et à conférer à l’œuvre toute sa noirceur.. Le film n’est donc absolument pas indiqué pour les enfants – il est d’ailleurs interdit aux moins de douze ans. Il n’est pas conseillé non plus à un public friand de blockbusters décérébrés. Watchmen, les gardiens, œuvre plutôt psychologique et philosophique, n’a rien du vulgaire action-movie.
Ce n’est pas le moindre mérite de Zack Snyder que d’avoir réussi à imposer sa vision de l’œuvre, fidèle au texte initial. Les studios voulaient un film de 1h30, édulcoré et recentré sur l’intrigue principale. Le cinéaste en a fait un film-fleuve de 2h45, âpre et complexe, qui prend le temps de développer l’histoire et les personnages – par ailleurs fort bien incarnés par Billy Crudup, Patrick Wilson, Jeffrey Dean Morgan, Matthew Goode, Malin Akerman (rhâââ lovely…), avec une mention spéciale pour Jackie Earle Haley, très bon dans le rôle du charismatique et ambigu Rorschach.
Certes, les amateurs de films de super-héros classiques vont être décontenancés, comme les lecteurs à la sortie des bandes-dessinées. Certes, c’est un peu kitsch - les scènes sur Mars, notamment, ou Manhattan le schtroumpf qui est chez lui et qui se ballade à poil s’il veut - Mais le bouquin l’était aussi… En fait, le seul reproche que l’on puisse faire à Zack Snyder – outre les fluctuations du rythme – concerne son style cinématographique, qui, comme dans 300 ou l’armée des morts, cherche inutilement à en mettre plein la vue. Il abuse de certains effets, surtout des ralentis. Sur la durée du film, ça finit par devenir un peu fatiguant…
Le résultat global est cependant tout à fait honorable. On pouvait craindre le pire pour l’adaptation hollywoodienne du chef d’œuvre d’Alan Moore et Dave Gibbons, sur laquelle quelques pointures se sont cassé les dents (Terry Gilliam ou Darren Aronofsky, entre autres). Mais le Watchmen de Zack Snyder s’en sort bien, en restant le plus fidèle possible à l’original. Les avis risquent d’être partagés, mais les fans de la BD, eux, ne devraient pas bouder leur plaisir…
Note :
(*) “Watchmen, les gardiens” d’Alan Moore et Dave Gibbons – L’édition de Delcourt est aujourd’hui un collector difficile à trouver et onéreux, mais les rééditions de Marvel Panini France sont, elles, disponibles, à des prix variables.
Tags : Watchmen, Zack Snyder, Alan Moore, Dave Gibbons, adaptation, super-héros, menace nucléaire