Troubles chez les bourgeois.
Ils sont très comme il faut, les
Berthaud. Pleins de principes. Avides de ressembler à tous les
clichés que l'on se fait sur les gens de leur condition. Le
père directeur d'une succursale bancaire, et prêt à
être associé à la conduite même de la
banque.
Comme elle est dirigée par deux
juifs et peut-être par des francs-maçons, il ne va pas à
la messe. Ca pourrait déplaire. Il s'est fait aussi
végétarien. Une manière de s'éprouver,
de se réglementer, de se faire apprécier pour sa
discipline. Sa fille Roberte l'admire pour ça, et pour le
reste.
Mais un dimanche qu'elle revient
impromptu d'une promenade, elle tombe sur ce père qui se
fait griller en cachette un bifteck. Un bifetèque, comme
l'écrit Aymé, dont un des procédés
comiques est de franciser l'anglais. Ce n'est pas le seul.
C'est une catastrophe ! Roberte
découvre aussitôt en son père quelque chose
d'hypocrite, d'immoral, et elle décide qu'elle va lui
faire payer ça. Toute son attitude n'est plus que reproche.
Du coup, le père déserte les repas familiaux, risque de
tomber dans les filets d'une starlette, se reprend à la
dernière seconde...
Le vice est petit chez ces gens-là.
Un morceau de viande mangé en cachette. Et continuer à
prétendre malgré tout. Heureusement que pour la
grandeur du dépravation, il y a dans le livre un personnage,
un colonel en retraite d'une adorable lubricité dont les
deux buts sont de faire un ouvrage qui montre que capitalisme,
fascisme et communisme c'est la même chose, et d'engrosser
des jeunes filles.
Finalement, tout se termine quand même
bien. Roberte, troublée et adorée par le plus beau
garçon du quartier, épouse sans amour un ingénieur
laid, mal soigné mais solide et dont la carrière est
prometteuse. Le père reprend sa place à la table
familiale, pardonné et toujours végétarien,
sinon qu'il a loué un studio pour manger sa viande
tranquille. Et la starlette devient une star de cinéma.
Vive, donc, les
vertus publiques !