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Le questionnaire du FFC : Lionel-Edouard Martin

Publié le 21 mars 2009 par Fric Frac Club
Le questionnaire du FFC : Lionel-Edouard Martin
Lionel-Edouard Martin est un poète et romancier français né en 1956. Jours d’été dans le Sud-Ouest est son dernier récit, l’histoire d’un couple installé en Martinique revenant passer l’été dans le Sud-Ouest enterrer le père de la femme et vendre la maison familiale. La poésie et l’humour traversent ce petit livre comme de petites bises nous aidant à supporter la châleur accablante de ce drôle d’été où la mort rôde. La mort, c’est celle du beau-père du narrateur bien sûr, mais c’est aussi celle de cet agent immobilier collectionneur de coquillages et c’est celle, plus ancienne, de Francis Jammes sur la tombe duquel le narrateur parvient, après quelques déboires, à se recueillir car « un poète, un écrivain, c’est quoi sinon un corps de mots ? Mort ou vivant, mais surtout mort : un corps de mots. Et pourtant, il a eu un vrai corps, un corps de chair et d’os. C’est ça, le sens de ces visites : confronter le corps de mots au corps du mort. » Lionel-Edouard Martin a eu la gentille de répondre à notre petit questionnaire, nous l’en remercions.
Que ferez-vous lorsque plus personne ne lira de livres ?
C’est une perspective très improbable, m’est avis : les supports sont certainement appelés à évoluer, mais j’ai peine à imaginer un monde sans livres ni lecteurs. Vivre requiert fenêtres et miroirs – j’entends par là des formes d’art qui canalisent, régulent nos parts d’ombre, et qui les éclairent. La lecture ouvre des fenêtres, elle étame des miroirs. Je doute qu’une fois prise cette habitude de clarté, on puisse s’en passer, même si les yeux finissent par se faire à l’obscurité. Mais si par extraordinaire plus personne ne lisait ? Sauf à penser qu’on ait brûlé toutes les bibliothèques, publiques ou privées, je continuerais à lire dans mon coin, envers et contre tout ; à lire et à écrire, les deux actes relevant d’une si étroite imbrication que je serais bien incapable de les démêler.
Le premier souvenir (ou émotion) littéraire ?
Ce n’est guère original : j’avais 15 ans, j’ai lu Rimbaud. « Ce fut comme une apparition » dans mon ciel poitevin, où il se passait bien peu de choses depuis le premier spoutnik. L’homme, le texte, tout y était, formait un tout indivisible : je découvrais un concept de poésie bien éloigné de mes récitations de collégien. Bascule tout à coup dans un autre univers, avec cette certitude que le monde a un revers – les mots, et qu’on vit avec plus de justesse et d’acuité dans la doublure, cet « opéra fabuleux ». Puis les surréalistes, dans la foulée et dans l’émerveillement ; d’autres encore – mais c’est une autre histoire…
Que lisez-vous en ce moment ?
Joseph Delteil, formidable « ironiste du saugrenu ». On l’a bien oublié – à tort, il est plus moderne que bien de nos contemporains : Sur le fleuve Amour, Choléra, Jeanne d’Arc, sont des textes remarquables, dont en leur temps les deux premiers ont d’ailleurs été encensés par les surréalistes. Ces années 1920 sont un des grands moments de questionnement et de (re)création du langage romanesque. Celui qu’adopte Delteil, alors qu’il est encore tout jeune (il est né en 1894) est marqué par une très forte originalité : il rappelle un peu Morand ou Giraudoux, mais avec, il me semble, plus de poigne et moins d’artifice (au sens des feux), et, dans la composition, une beaucoup plus grande inventivité, un souci plus affirmé de s’affranchir des conventions narratives.
Suggérez-moi la lecture d'un livre dont je n'ai probablement jamais entendu parler.
Je ne cours guère le risque de m’entendre rétorquer que vous le connaissez : le Livre des prodiges (Prodigiorum liber), de Julius Obsequens (je suis un fervent latiniste). On ignore à peu près tout de l’auteur, même l’époque où il a écrit. Son œuvre – unique, autant qu’on sache – est une recension, consulat par consulat, des différents « prodiges » survenus dans l’Italie antique. Si l’intérêt est bien évidemment historique et anthropologique avant tout, la dimension – très involontairement – poétique de l’ouvrage mérite qu’on la signale : mis bout à bout, les inventaires revêtent un charme tout « fantaisiste » avant la lettre ; qu’on en juge (ne dirait-on pas du Max Jacob ou du Toulet ?) : « Un chat-huant, surpris dans le temple de la Fortune Équestre, mourut entre les mains de ceux qui le saisirent. On entendit à Fésulles un grand bruit souterrain. D’une servante naquit un enfant à qui manquait l’orifice par où la nature fait sortir les eaux du corps. Une femme fut trouvée qui avait de doubles parties génitales. On aperçut dans le ciel une torche ardente ; un bœuf parla ; un essaim d’abeilles alla se poser sur le sommet d’une maison particulière. A Volaterre, on vit couler un ruisseau de sang ; à Rome, il plut du lait. A Arrétium, on trouva deux androgynes. Il naquit un poulet ayant quatre pieds. Plusieurs édifices furent frappés de la foudre. »
Le texte latin, naturellement plus dense, aux antipodes de la rhétorique cicéronienne, crée sur le lecteur un effet saisissant.
Le livre que vous avez lu et que vous auriez aimé écrire ?
La Recherche du temps perdu, comme tout le monde ? Ou Canisy de Jean Follain. J’assume pleinement la coquetterie qui consiste à rapprocher deux textes en apparence si différents.
Quel est le plus mauvais livre que vous ayez lu ?
J’aurais garde d’être désobligeant à l’égard d’aucun de mes confrères en écriture ! Voyez toutefois la question suivante.
Quel est le livre qui vous semble avoir été le mieux adapté au cinéma ?
Forcément le plus mauvais. Je suis de ceux qui pensent (avec Jean Rouaud, pour ne citer que lui), que la littérature contemporaine n’a aucune vocation à pouvoir être portée à l’écran. Je fais même de cet axiome le fondement de mon esthétique : j’ai le désir (ou la prétention ?) d’écrire des livres inaptes à toute adaptation cinématographique ; ce qui revient à dire que leur intérêt (si jamais ils en ont un) se situe ailleurs que dans la narration (si jamais, d’ailleurs, ils racontent quelque chose).
Écrivez-vous à la machine, avec un ordinateur ou à la main ?
Je ne sais plus écrire à la main, j’ai désappris, je fais des pâtés dès que je m’y risque ; j’ai remisé depuis belle lurette la machine dans mes placards. Je « travaille » (écrire, est-ce travailler ?) presque exclusivement sur mon ordinateur portable, qui m’est au fil du temps devenu prothétique, que dis-je ! consubstantiel. Sur le plan de l’ergonomie : j’y ai à portée de phalange tous mon attirail d’écrivain (dictionnaires, usuels, documentation, tout cela en ligne…) ; je me vois mal m’en passer.
Écrivez-vous dans le silence ou en musique ?
Je suis une carmélite, mais de grâce, sans dialogue ! Pour parodier Cadou, « J'appareille tout seul et dans le silence absolu vers la face rayonnante de l’écriture ». Je suis incapable d’écrire dans le bruit ou dans le divertissement ; et la musique mérite, me semble-t-il, une écoute attentive, incompatible avec toute autre tâche.
Qui est votre premier lecteur ?
Généralement, mes éditeurs, ou les gens des revues.
Quelle est votre passion cachée ?
Cache-t-on rien, à mon âge, de ses passions ? J’avoue un faible pour certaines bouteilles ; et pour la musique contemporaine.
Qu'est-ce que vous n'avez jamais osé faire et que vous aimeriez faire ?
Composer un concerto ; quelque chose comme ceux de Dusapin. Ce n’est pas tant que je n’ose pas (j’ose tout – c’est, d’après Audiard, la marque de certains) : j’oserais si seulement je savais faire…

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