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L’autojustification de la nouvelle prison de Nancy

Publié le 27 mars 2009 par Sylvainrakotoarison
Trois plateaux dominent l’agglomération de Nancy qui compte 400 000 habitants : le plateau de Malzéville (aérodrome), celui de Brabois (technopôle)… et le Haut-du-Lièvre.
Nous sommes dans le quartier le plus "sensible" de Nancy qui surplombe depuis 1958 l’agglomération : le Haut-du-Lièvre. Urbanisme classique des années 1950-1960 : le projet d’urbanisme dirigé par l’architecte Bernard Zehrfuss (qui a fait aussi le musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon, les immeubles de l’avenue Jean Jaurès de Pantin et participé au CNIT à La Défense) a dressé des immeubles très laids, un quartier bétonné.
Pas beaucoup de raccordements avec le centre ville très éloigné. Une ghettoïsation sociale de ses habitants. Depuis de nombreuses années, on cherche à y faire cohabiter des étudiants (très nombreux dans la ville, près de 10% de l’agglomération), et depuis peu, un grand projet de rénovation du quartier a été lancé sous la direction de l’architecte Alexandre Chemetoff. On a même déjà détruit quelques bâtiments fort disgracieux.
Un vol dans une "zone urbaine sensible"
Une entreprise s’installe alors dans un appartement vide du rez-de-chaussée d’une barre d’immeuble (le Tilleul argenté) pour une prestation temporaire. Au numéro 17, aucune plaque n’indique sa présence qui se veut discrète. Elle l’a loué à l’office public d’aménagement et de construction (OPAC) de Nancy. Il est midi, le vendredi 27 février 2009 quand les quelques employés décident de partir pour leur pause déjeuner. Ils laissent leur PC portables allumés dans la salle, ferment la porte à clef et vont manger.
Une fois revenus de déjeuner, ils trouvent la porte de l’appartement fracturée, une fenêtre brisée… et surtout, les quatre ordinateurs portables envolés. Enfin, plutôt volés. Coup classique, vol ordinaire et les premiers soupçons d’ailleurs pourraient ne pas tarder à pointer en direction de la population autochtone. Les voleurs ont emporté les ordinateurs et vont sans doutes les vendre à des receleurs.
Une nouvelle prison
Le problème, c’est que l’entreprise n’est pas comme les autres. Il s’agit d’Eiffage BTP. Et sa présence au Haut-du-Lièvre est loin d’être anodine puisqu’elle est chargée de construire la nouvelle prison de l’agglomération nancéienne sur le site des anciennes carrières Solvay à cheval sur les communes de Nancy et de Maxéville. C’est la première prison véritablement privée, construite sur des fonds privés. On en parle depuis qu’Albin Chalandon était Ministre de la Justice, en 1986.

La nouvelle prison de Nancy devrait être un modèle du genre qui s’inscrit dans le plan Perben qui prévoit la rénovation ou la création de 13 200 places au niveau national. Elle est prévue pour 690 détenus mais a déjà installé 900 lits pour faire face à la surpopulation carcérale. Son coût est de 54 à 69 millions d’euros (selon les sources ou qu’on compte les taxes). Elle devrait entrer en service entre le 22 et le 26 juin 2009, donc dans pas très longtemps (la directrice de Charles-III a d’ailleurs déjà reçu le 19 février 2009 les clefs du nouveau centre de détention remises par la direction de l’administration pénitentiaire de Strasbourg).
Les opposants à cette prison sont de deux catégories : les premiers regrettent son implantation dans un quartier déjà difficile et de mauvaise réputation par ailleurs, et les seconds trouvent que les détenus vont avoir des conditions de vie trop confortables (ce en quoi ils ont tort, le scandale venant plutôt des conditions d'inconfort de la plupart des prisons français auxquelles le plan Perben tente de mettre fin).

La fin tant attendue de Charles-III
Cette prison flambant neuf va désengorger la prison de Toul et, surtout, elle va remplacer la triste prison Charles-III, en plein quartier central de Nancy, entre le centre commercial Saint-Sébastien et l’actuel Palais des Congrès. Une prison pointée du doigt dans de nombreux rapports parlementaires et par Pierre Bédier quand il était Secrétaire d’État aux Programmes immobiliers de la justice, pour son état lamentable d’insalubrité (« extrême vétusté »). Installé dans un ancien bâtiment religieux en 1857, le centre pénitentiaire Charles-III accueille encore aujourd’hui 350 détenus pour seulement 259 places.
Cette externalisation de la prison est une aubaine pour la municipalité de Nancy. Les 10 à 15 hectares qu’occupent la prison et le quartier Charles-III sont justement tout près de la nouvelle gare TGV de Nancy. Le TGV Est passe à Nancy depuis juin 2007. Beaucoup d’idées de rénovation d’urbanisme jaillissent avec entre autres la construction d’un nouveau Palais des Congrès, plus grand, et d’un centre d’affaires.
Plans et codes volés
Le hic, dans cette affaire de vol, c’est que les ordinateurs volés le 27 février 2009 contenaient dans leurs disques durs des plans de la nouvelle prison et même des codes secrets. C’est confirmé par les intéressés, la police et la presse s’en est fait un large écho le 9 mars 2009. L’administration pénitentiaire assure cependant qu’il n’y aura aucune faille dans la sécurité, que ces plans sont partiels et incompréhensibles au profane et que l’ouverture de la nouvelle prison aura lieu dans les délais.
Selon l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), « la sécurité du nouvel édifice n’est donc pas remise en cause et (…) la préparation de l’ouverture (…) se poursuit. (…) [Les ordinateurs volés] ne comportent que des éléments techniques et fragmentaires qui ne sont pas exploitables en l’état, ce qui ne permet pas de reconstituer les plans de la nouvelles structure pénitentiaire. »

Eiffage BTP a déménagé, porté plainte et informé les Ministères de l’Intérieur et de la Justice. L’enquête a été confiée à la brigade départementale de la sûreté urbaine.

Réactions et interrogations
Le comique : alors, évidemment, on peut d’abord en rire. Certains titres de journaux n’hésitaient pas à titrer comme Libération : « avant même sa mise en service, l’établissement pénitentiaire le moins sûr de France ? ». C’est assez cocasse de construire une prison et de voir ses plans être dérobés par ceux pour qui elle serait destinée.

La négligence : on peut aussi s’interroger sur la très grande légèreté des employés d’Eiffage BTP qui, finalement, construisent la prison comme ils construiraient n’importe quel autre bâtiment public. Ne pas mettre sous clef les ordinateurs à contenu confidentiel, ne pas mettre de code bios pour les faire démarrer, ne pas crypter les fichiers critiques, ne pas renforcer la sécurité d’un appartement dont la localisation, au rez-de-chaussée, suscite par définition bien des tentations.
Le débat de fond : on peut en corollaire s’interroger sur la pertinence d’un partenariat État – entreprise privée qui rend confuses les prérogatives des uns et des autres (a priori, c’est à l’État d’assurer la sécurité et le maintien de l’ordre). Rien ne dit par ailleurs que les plans d’une prison en construction dans un cadre purement public n’eussent pas subi le même sort que dans ce malheureux cambriolage. Seules trois entreprises peuvent répondre aux appels d’offre : Bouygues, Vinci et Eiffage. Les contrats concernent non seulement le financement et la construction des établissements, mais aussi la maintenance et l’entretien pour 30 ans.
Le motif du vol : ensuite, on peut imaginer deux hypothèses sur ce vol. Soit c’est un vol non prémédité, à effet d’aubaine, pour s’emparer de matériel informatique laissé sans surveillance et le revendre (auquel cas, le mal aurait été mineur sans la mousse médiatique), soit c’est un acte de grand banditisme qui cherche à obtenir avant même la détention des futurs prisonniers les moyens de les en faire ressortir.
Une question qui taraude : enfin, c’est en ce qui me concerne ma principale interrogation. Pourquoi la presse et les médias en général ont-ils tant souligné l’existence de plans de la nouvelle prison dans ces ordinateurs volés alors que les dérobeurs n’étaient pas forcément au courant initialement ? Et on peut maintenant imaginer que même s’ils contrôlent peu la situation, ces délinquants voient par ces informations un moyen de valoriser leur butin auprès du grand banditisme plus expert qu’eux-mêmes dans le domaine des évasions et de l’exploitation de données informatiques.
Dans tous les cas, cette affaire ne contribuera pas à redorer l’image déplorable du Haut-du-Lièvre. Mais peut-être que peu de monde s’en soucie, finalement ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 mars 2009)
Pour aller plus loin :
Dépêches de presse sur la prison du Haut-du-Lièvre.




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