Un collègue m'a dit qu'il trouvait fou, voir dément que les petits vieux qu'il connaissait lisent autant ..!
Il avait pris pour habitude d'offrir à sa mère de beaux cadeaux. Un beau cadeau ce n'est pas très difficile à trouver sur Paris, aussi tout y est passé :
La tour Eiffel
miniature sur un petit socle de vrai faux marbre mais du plus bel effet : Le sacré cœur dans son globe-qui-fait-de-la-neige une fois secoué trône en bonne place, entre la photo du mariage des parents et celle du père lors de son service militaire, sur le buffet du salon-salle à manger : Une miniature de l'arc de triomphe toute dorée, "en or", a rejoint
la collection. La
mère était aux anges que son fiston, qui avait si bien réussi en montant sur la capitale, pense encore à elle en la couvrant de présents aussi beaux…
Il faut dire que dans la famille, on est ouvrier de père en fils, alors un chef d'équipe, ça vous place, ça rehausse la gloire de tous, ça donne un rang et on peut marcher dans la rue en tenant le regard haut.
Bien sûr, quelques mauvais coucheurs diront qu'on semble faire les fiers, qu'on se la pète parce que la réussite du petit donne des ailes, mais se ne sont là que des aigris, des petits qui rongent la jalousie qui les étouffe.
L'homme cependant, avait quelque part, une légère pointe d'amertume, comme une petite déconvenue, l'idée tenace qu'il faillait faire encore mieux ; il ne pouvait être petit. Après avoir erré dans les rues, regardé bien des vitrines, arpenté les galeries marchandes des supermarchés bordant le centre ville, il est tombé en extase sur un étal, devant la vitrine d'un libraire !
Ce jour là, il y avait une porte ouverte et le commerçant avait colonisé le trottoir pour monter les ouvrages au public, deux écrivains dédicaçaient chacun son livre, une table proposait un petit rafraîchissement aux badauds qui s'attardaient un peu.
C'est un bouquin à la belle couverture rouge à filet dorés qui attira le regard du collègue. Il ne sut résister d'avantage et, acheta l'ouvrage.
Mais qu'en faire ?
Il l'offrit à maman qui le plaça sans l'ouvrir sur une étagère du buffet, comme tous les autres qu'il prit pour habitude de lui acheter ; les livres témoignaient de la culture de la famille et on en était très satisfait. Les choses auraient pu durer ainsi, mais le père fut mis en retraite…
A force de tourner en rond, de pester son inaction obligée et de vociférer contre le patronat qui s'en mettait plein les poches, le père eut une extinction de voix. Rendu par là même totalement inaudible aux oreilles du voisinage qui s'en portait que mieux, pour se justifier, presque par défi envers la société, il attrapa l'un des livres, s'assit et l'ouvrit.
En rentrant à la maison alors que tombait le soir, la mère le trouva le nez dans son livre, hermétique à la vie qui l'entourait, passionné.
Depuis, un par un, tous les ouvrages sont lus avec délectation et, la contagion a gagné la mère qui s'y est mise elle aussi…
Notre homme y vit sûrement le gage d'une quelconque panacée qui puisse soutenir l'âge qui guettait toute l'humanité. Il se mit donc à acheter des livres qu'il lirait plus tard, lorsqu'il sera retraité à son tour…
─J'ai déjà presque trente livres, m'a-t-il déclaré avec le plus grand sérieux !