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« Les Français veulent un Etat efficace et stratège, capable de faire contrepoids à la puissance désorganisatrice du marché »

Publié le 28 mars 2009 par Délis

revolution-liberaleA l’occasion de la publication de son ouvrage Il faut terminer la révolution libérale, Michel Guénaire revient pour Délits d’Opinion sur le rôle de l’Etat dans l’économie et les attentes de l’opinion publique française à ce sujet. Il répond également à nos questions sur la politique économique actuelle du gouvernement.

Délits d’Opinion : Une enquête de l’institut BVA publiée en novembre 2008 met en lumière le désir de voir l’Etat intervenir davantage dans l’économie. Cette confession de l’opinion publique vous surprend-elle ? Est-ce un réflexe en temps de crise ou faut-il y avoir une véritable remise en cause du système économique actuel ?

Michel Guénaire : La volonté des Français que l’Etat joue un rôle dans l’économie ne me surprend pas. Ceux-ci voient bien que le marché a fonctionné dans une véritable anarchie, loin de l’éducation des premiers libéraux, et sans aucune régulation adaptée depuis vingt ans. De la part d’un pays habitué de longue date à une présence de l’Etat, une telle demande est en réalité à la fois rassurante et cohérente. Les Français retrouvent leurs marques.

Ils savent que l’Etat a considérablement aidé l’économie de leur nation. Sait-on aujourd’hui que les plus grandes entreprises du CAC 40 sont d’anciennes ou d’actuelles entreprises publiques (Renault, Saint-Gobain, Total, France Telecom et EDF), voire des entreprises qui ont bénéficié de l’investissement des collectivités publiques (Suez-Gaz de France et Véolia Environnement) ? Il ne s’agit donc pas d’un réflexe de temps de crise. Dans la crise justement que nous traversons, qui est la crise de la mondialisation, les peuples veulent se réapproprier la maîtrise de leur destin, et celle-ci passe naturellement dans un pays comme la France par un rôle retrouvé de l’Etat.

Délits d’Opinion : Les résultats d’un sondage de l’institut CSA réalisé en octobre 2008 désignait comme principaux responsables de la crise les banques américaines, le Gouvernement américain, les traders mais aussi les gouvernements nationaux. Un tel ressenti est-il conforme à la réalité ?

Michel Guénaire : Ce sondage est très intéressant, puisqu’il met sur un pied d’égalité la responsabilité des acteurs du marché et celle des Etats, alors que les médias accusaient alors les seuls acteurs du marché. Ce sondage était cependant plus vrai que les médias. Je cite dans mon livre un article du New York Times de 1999 révélant que l’administration Clinton avait exercé une pression sur Fannie Mae, la grande banque spécialisée dans les prêts hypothécaires, pour qu’elle accordât les fameux subprimes à toutes les catégories de citoyens américains, y compris les plus démunis, sinon cette banque pouvait être poursuivie pour discrimination. Le crédit facile, à l’origine de la crise, a été voulu par les gouvernements.

D’une manière générale, les Etats ont lancé le mouvement de la déréglementation des économies sans en mesurer toutes les conséquences. Ils s’en sont remis à la loi du marché, en estimant que celle-ci créerait la nouvelle richesse des nations, mais ne l’ont pas encadrée. Il est vraiment très intéressant de noter que les Français n’ont pas été dupes dès le commencement de la crise. La responsabilité des Etats dans le développement de la révolution libérale est au moins aussi forte que celle des acteurs du marché.

Délits d’Opinion : L’opinion déclare vouloir « plus d’Etat ». Quel Etat et quels types de décideurs les Français souhaitent-ils voir revenir dans notre économie ?

Michel Guénaire : Je ne crois pas que les Français entendent revenir à l’Etat omnipotent du temps des socialistes. Ils veulent un Etat efficace et stratège, capable de faire contrepoids à la puissance désorganisatrice du marché. Cet Etat doit conduire une politique de soutien des intérêts des entreprises qui créent de l’emploi dans la nation, réimprimer une vision de long terme dans les grandes orientations industrielles du pays et bien sûr retrouver ses fonctions régaliennes à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.

Les responsables à la tête de cet Etat doivent être conscients de la charge spécifique qui leur incombe. Il ne s’agit pas de conduire une gestion comme à la tête d’une entreprise privée. Nos élites politiques et administratives doivent renouveler leur registre. Exercer une fonction à la tête de l’Etat demande d’adhérer à un projet de souveraineté.

« On ne gouverne pas les peuples contre leur histoire »

Délits d’Opinion : Comment expliquer que les décisions du Président de la République pour remettre « plus d’Etat » n’aient pas un impact plus positif sur l’opinion ?

Michel Guénaire : Il faut attendre que toutes ses décisions prennent leur effet. On est à un point de rupture dans la politique du Président. Celui-ci avait débuté son mandat avec un programme néo-libéral nourri du rêve secret de transformer la France en une société proche du modèle américain. Beaucoup de ses décisions parmi les plus récentes illustrent encore ce rêve : diminution des effectifs dans les grands services publics de la nation, réforme de l’école qui privilégie l’autonomie des élèves au détriment des heures de cours, réforme de la décentralisation allant dans le sens de la consécration de grandes agglomérations urbaines jusqu’à la réforme de la justice qui veut substituer le système accusatoire anglo-saxon au système inquisitoire français.

Maintenant, il faut au président de la République se réinscrire dans la filiation du modèle français de développement, qui résiste le mieux à la crise et aura donc eu finalement raison contre le modèle dominant de la mondialisation.

Délits d’Opinion : Le souhait de réformes (Hôpital, Université, collectivités territoriales…) du Président Sarkozy semble se confronter à l’impératif de la relance. La baisse de la cote de popularité de l’exécutif n’est-elle pas finalement la conséquence d’une gestion paradoxale et menée à contre-temps ?

Michel Guénaire : Le président de la République commet, à mes yeux, une erreur de méthode en voulant conduire de front son plan de relance et sa politique de réformes. On ne fait pas courir un corps qui est malade. Les mesures du plan de relance auraient plus d’impact dans le sentiment de la nation si le Gouvernement marquait une pose dans le train des réformes. Comment peut-on par ailleurs justifier des réformes inspirées par le modèle responsable de la crise ?

La confiance renaîtra en Nicolas Sarkozy quand celui-ci aura tiré la véritable leçon de cette crise : le modèle français de développement n’était finalement pas si mauvais que certains avaient voulu le dire en comparaison avec le modèle anglo-saxon ! Il faut aujourd’hui se réapproprier notre modèle historique de développement, bien sûr le faire évoluer, mais non plus le nier. On ne gouverne pas les peuples contre leur histoire. A l’heure où Barack Obama est un président plus américain que jamais, Nicolas Sarkozy doit être un président plus français que jamais.

“Il faut terminer la révolution libérale”, Michel Guénaire, Flammarion (Mars 2009). 

Propos recueillis par Raphaël Leclerc.


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