Voici l’homme
à Paul Éluard
Dans ma fronde pour me lapider,
dans ma glaise qui est froide,
dans ma vie mal habituée,
dans ma rumeur mal famée,
dans les pôles de mon silence,
dans mes dérisions et mes gloires,
dans mes jeux sans lumière,
dans ma peine sans larmes,
dans mon rire sans eau,
dis-moi si je me cache.
André Frénaud, Les Rois Mages, Poésie/Gallimard 1987, p.161.
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maison à vendre
Tant de gens ont vécu là, qui aimaient
l'amour, le réveil et enlever la poussière.
Le puits est sans fond et sans lune,
les anciens sont partis et n'ont rien emporté.
Bouffe le lierre sous le soleil d'hier,
reste la suie, leur marc de café.
Je m'attelle aux rêves éraillés.
J'aime la crasse de l’âme des autres,
mêlée à ces franges de grenat,
le suint des entreprises manquées.
Concierge, j'achète, j'achète la baraque.
Si elle m'empoisonne, je m'y flambe.
On ouvrira les fenêtres... Remets la plaque.
Un homme entre, il flaire, il recommence.
André Frénaud, Les Rois Mages, Poésie/Gallimard 1987, p.60.
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machine inutile
une machine à faire du bruit,
qui s'ébroue et supplie et proclame,
pas seulement pour vous faire taire,
peut-être pas pour m'amuser,
construite en mots dépaysés
pour se décolorer l'un par l'autre,
pour entrer dans l’épais du grain,
pour y trouer tous les grains,
pour y passer par les trous
pour y pomper l’eau imprenable
dont le courant gronde sans bruit,
machine à capter ce silence
pour vous en mettre dans l'oreille
à grands coups d’ailes inutiles.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Poésie/Gallimard 1967, p.85.