Peut-on vivre ensemble sans vivre les uns contre les autres ? Faire société sans rivaliser ? Se fréquenter sans concurrence ? Se côtoyer sans envie, s’admirer sans jalousie, avoir des relations sans se comparer ? L’amour authentique même vient-il à bout de l’amour-propre ? C’est le soupçon du contraire qui faisait écrire à Hobbes la phrase qu’on sait : l’homme est un loup pour l’homme. Comment l’établit-il ? Y a-t-il une alternative ?
Les hommes deviennent rivaux parce qu’ils sont égaux. C’est parce qu’ils veulent les mêmes choses qu’ils se disputent. Parce qu’ils ont les mêmes objectifs qu’ils s’épient et s’envient. Les désirs humains sont si peu distincts qu’ils rendent ennemis plutôt qu’amis, adversaires et non solidaires. L’égalité serait productrice non de paix mais de guerre. Les hommes veulent de la reconnaissance et avoir raison, des biens et des possessions : ils se battent pour des terres, pour la vérité, pour leur religion. Cela peut-il appartenir aux uns sans être retirés aux autres ?
Hobbes insiste, en le renforçant, sur son paradoxe. Car l’égalité est double, et la rivalité redouble. L’égalité des désirs se double d’une égalité relative des forces. Non seulement ils veulent les mêmes choses, mais ils peuvent à égalité les obtenir. Ils veulent et peuvent les mêmes choses. Les moyens et les fins sont sensiblement identiques. Il y a bien des différences de talent et de corpulence, concède le philosophe, mais au fond les différences, mentales ou physiques, sont négligeables.
Toutes les différences sont provisoires, apparentes et superficielles. La ruse peut compenser l’absence de force. Et la force l’absence d’intelligence. Le faible peut devenir plus fort que le fort et le fort devenir plus faible que le faible. Il n’y a pas de maître naturel, et c’est pourquoi les hommes se font la guerre pour l’être.
Il semble qu’il n’y ait d’autre issue à la concurrence que la recherche de la différence.