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6 avril 1917/Naissance de Leonora Carrington

Par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours
   Le 6 avril 1917 naît à Clayton Green, dans le Lancashire, Leonora Carrington, issue d’une famille de riches industriels du textile.


Carrington Autoportrait

Leonora Carrington,
Autoportrait (L'auberge du cheval de l'aube), 1937-1938
Huile sur toile, 65 x 81,2 cm
Collection Pierre et Maria-Gaetana Matisse
New York City, The Metropolitan Museum of Art


   En 1936, inscrite à l’Académie d’art créée à Londres par Amédée Ozenfant, elle visite l’Exposition internationale du Surréalisme aux New Burlington Galleries. Sa rencontre, en 1937, avec Max Ernst, marquée par un coup de foudre réciproque, l’entraîne dans une relation triangulaire entre elle, Ernst et son épouse, Marie-Berthe. Cette relation lui inspire une nouvelle, Le Petit Francis. Auteur du Cornet acoustique, Leonora Carrington, célèbre pour ses peintures d’inspiration surréaliste, vit aujourd'hui à Mexico.


EXTRAIT DE LEONORA CARRINGTON, LA MARIÉE DU VENT D’ANNIE LE BRUN
   « Nous sommes en 1937. Et il ne faut pas attendre longtemps pour que Max Ernst nous la présente, « bon vent, mal vent », dans sa préface à la Maison de la peur de Leonora Carrington. Bien sûr, il est follement amoureux d’elle, comme elle l’est de lui. Et bien sûr, depuis lors, la pauvreté et l’abondance des commentaires, tour à tour ou en même temps universitaires, psychologiques, esthétiques, féminins, féministes, ont empêché de voir à quelle lumière d’éperdu, pour l’un et pour l’autre, « l’inconscience du paysage devient complète ». Ainsi se sera-ton bien gardé de chercher pourquoi Max Ernst commence par se demander si « la femme dont le haut du bras est cerclé d’un mince filet de sang, ne serait autre que la Mariée du vent ». Et pourquoi les questions s’enchaînent les unes aux autres : « Qui est la Mariée du vent ? Sait-elle lire ? Sait-elle écrire le français sans fautes ? De quel bois se chauffe-t-elle ? » Que veut donc Max Ernst ? Est-il indécis ? Hésitant ? Certainement pas. Cette « Mariée du vent », seul lui importe de la reconnaître.
   Car elle lui est apparue, dix ans plus tôt, comme en témoignent trois toiles de 1927, justement intitulées La Mariée du vent, où, à chaque fois, un entrelacs de chevaux impétueux, comme échappés des « hordes » de la même époque, devient le centre tourbillonnant du tableau, dont l’organisation et la beauté tourmentées rappellent celles des Deux Jeunes Chimères et de la scène d’érotisme sévère, aussi de 1927 […]
   A-t-on voulu ignorer la puissance visionnaire de ce qui s’est joué dans la jungle des formes courant à la rencontre du désir ? A-t-on voulu oublier qu’il y allait de la poésie comme exacte mesure des « influences mystérieuses qui régissent la vie des hommes et que la grandeur du surréalisme aura été de tout mettre en œuvre pour nous en apporter les preuves bouleversantes ? [...]
   Alors, comment ne la reconnaîtrait-il pas, un an plus tard, la « Mariée du vent », sous les traits de Leonora Carrington, pour qui les apparences ont si peu d’importance que, dans son autoportrait de 1938, le cheval à bascule, la couronnant comme une immense parure de tête, va donner au tableau sa structure tournoyante qui emporte d’abord le regard vers l’échappée d’un cheval blanc dans un paysage d’aube, pour d’autant mieux ramener l’attention sur un hyène noire, aux yeux bleus et aux mamelles gonflées, qui se tient en arrêt au centre de la scène, face à la jeune femme en tenue cavalière ? Comment ne la reconnaîtrait-il pas, la « Mariée du vent », dans l’innocence de celle qui dévoile quelle sauvagerie veille à l’aurore des choses comme à la naissance des rêves ? Car, à y bien regarder, ce n’est pas à l’éclat de quelque étoffe que les jambes de la jeune femme doivent d’être le centre lumineux du tableau, mais à une blancheur animale évoquant celle d’un pelage ou celle de la robe improbable dont sont revêtues les cavales du rêve. Et il n’est pas jusqu’aux petites bottines noires de la cavalière qui n’annoncent les sabots luisants dont Max Ernst va bientôt chausser nombre des apparitions de Leonora Carrington dans sa peinture des années suivantes.
   De sorte qu’on se sera beaucoup trompé à vouloir expliquer ce qui a lié et séparé les amants, à partir des grilles en mou de veau de la femme-enfant ou de la femme-muse, alors que ce sont, à l’évidence, les trajectoires du rêve qui, de part et d’autre, ont déterminé leur rencontre.
   Peut-être même, quand ils se retirèrent en 1938 à Saint-Martin d’Ardèche pour construire leur monde au moment où le monde était au bord de la destruction, ont-ils cru, comme Max Ernst l’avait rêvé, quinze ans plus tôt, dans un de ses tableaux les plus érotiques, que « les hommes n’en sauront rien. »
Annie Le Brun, Leonora Carrington, La Mariée du vent, Gallimard, 2008, pp. 31-39.


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