Magazine Culture

L'Amérique au panthéon rock, part XXIV

Publié le 06 avril 2009 par Bertrand Gillet


Bob Seger est au rock US ce que Bruce Springsteen est aux stades : un pilier. Formé en 1967, le Bob Seger System vécut dans le mitant des sixties des préliminaires psychédéliques plutôt orientés « garage ». La voix profonde et granuleuse de Seger contribuant à cette impression. C’est lors de la décennie suivante qu’il saura s’imposer comme une figure emblématique du Classic Rock, avec des albums hargneux et roboratifs. C’est le cas de Mongrel, serti dans un emballage de l’étrange, à l’iconographie presque progressive rehaussée d’une typo Art Nouveau. Passé ce détail graphique, ouvrons la précieuse pochette, sortons la galette d’un noir opaque et posons-la sur la platine. Hum, oui, intéressant, ah, belle entrée en matière, Song of Rufus, c’est cela. Gros gros son de guitare car en plus d’être un chanteur capable de vociférer pendant 30 minutes d’une face A et d’une face B haletantes, Seger n’en est point manchot lorsqu’il s’agit de manier la six cordes. Sa Gibson beugle ce qu’il faut de contestation rock dès les premières mesures terriblement efficaces de Highway Child, puis sur Lucifer, riff démoniaque, orgue baveux qui rentre dans le gras tout au long du morceau titre Mongrel. Au milieu de ce déluge heureux de décibels, le rock US, que l’on appelle aujourd’hui Americana, a su aussi ménager des espaces plus calmes, propices à porter toute une mythologie celle de la conquête de l’Ouest, du retour à la nature, comme dans Big River aux accents soul, Evil Edna aux chœurs vibrants ou dans Mongrel Too, tout en ferveur spirituelle et en habit gospel. Vision quasi charnelle d’une Amérique originelle qui voudrait faire oublier l’horreur exotique du Vietnam, les dérives déliquescentes de l’Administration Nixon, la confusion des esprits et des valeurs, jeunes contre adultes. Mais quand le feu couve, faut-il pour autant l’éteindre, oui mais non et les quatre musiciens s’emploient à allumer des brasiers dans Teaching Blues, servi par une rythmique implacable et un orgue volubile, et sans jamais laisser retomber la pression s’attaquent à un standard de la soul, River Deep-Mountain High, que l’on doit à la plume experte du grand Phil Spector : volcanique réinterprétation jouée live comme pour montrer que le rock est la musique du réel, sans les falbalas du studio dont la version de Ike & Tina Turner était parée. D’une totale maîtrise, les sept minutes enregistrées par le Bob Seger System ne laissent aucun espoir de repos à l’heureux spectateur muni de son précieux sésame, le billet. Belle initiative que d’avoir pressé sur disque cette performance suant l’extase rock, offrant une fin puissante, haletante à ce bouillonnant témoignage de musique brute, épaisse. Et l’on oubliera ainsi l’énigmatique illustration d’un chien pétrifié devant le goûter d’une jeune enfant tout droit sortie d’une image victorienne qui dut pourtant, en cette année 1970, attirer le regard glouton du chaland à la recherche d’une ultime sensation rock. Couché, Mongrel, là, sage, fais le beau, voui, bon chien va.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bertrand Gillet 163 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte