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"Précipités", de Claude Favre (lecture de Bruno Fern)

Par Florence Trocmé

Précipités2 Indéniablement, il y a de la chute là-dedans, à travers une succession de lancers où la langue (au moins elle[1]) est pendue, même si elle ne l’est jamais assez bien  puisque « la mort nous a déjà atteints » et que ça continue – d’autant plus – à parler. Par conséquent, peu de repos en perspective mais une dynamique textuelle dont le titre tient ses promesses et qui pourrait illustrer cette phrase d’A. Zanzotto : « Le poème est avant tout ce qui, dans le saturé de la langue, doit s’isoler (idiotie), se défier (ironie), se précipiter (vitesse et concrétion). »[2]. De plus, si l’on ne peut que chuter d’un tiret à l’autre, « _ tiret de la phrase ça annonce problème au promontoire d’où le plongeon[3] », toucher le fond n’est pas pour demain, la composition du texte, faite de rebonds et de reprises, engendrant un mouvement qui ne cesse d’ailleurs pas avec le dernier mot :

on se défenestre par goût de la gravité & toujours il y aura plus grave l’homme sait faire & persiste & plonge & menteur sans épilogue

Quitte à rouler, ce n’est pas à l’image de cette boule que d’autres poussent devant eux[4] mais plutôt avec une énergie qui exclut d’office toute grandiloquence et multiplie les échappées :

_ comme fugue dérobée plongée & en ses propres temps cependant c’est d’histoire histoires & tant & des nôtres qui atteints le sommes-nous à prendre le temps en réponses démentes démenties rien n’y fait on persiste pan t’es mort & sur place publique même qu’on ferme les yeux & pas tant le grabuge que cela

Bref, intimement liée à la solitude, cet état optimal de l’homme[5], l’écriture de Claude Favre tente de trouver une voix qui soit tout autant reconnaissable comme sienne, c’est-à-dire se sachant irréductiblement circonscrite à cette solitude même[6], que portée au-delà à force de s’emmêler minutieusement à celle des autres (du tout-venant de la langue, qu’elle retourne comme on le dit d’un sol, à Maïakovski, Primo Levi ou Apollinaire), aux échos de l’Histoire – une voix à la fois brute et savante, énergique et fêlée, grave et joueuse[7], roulant sans trêve plus loin pour, au moins, « se dire vivant ».

contribution de Bruno Fern

Précipités est publié par publie.net, collectif d’édition électronique. On peut lire des extraits en ligne, acheter le livre, le consulter sur ordinateur ou sur liseuse, appareils mobiles, etc.

publie.net
Précipités , 1, 30 €



[1] « Et l’œil suspendu, haut et court. » ; noter également la récurrence des cordes.
[2] Revue Hi.e .ms, n° 9 / 10, hiver 2002-2003.
[3] L’une des deux phrases placées en exergue évoque justement la fresque de la Tombe du Plongeur de Paestum : Fresque de la Tombe du Plongeur - Wikipédia
[4] Donc rien à voir ici avec un « retour aux états d’âmes narcissiques, à la petite mémoire et à la plainte individuelle qu’un sujet souffrant, plein de nostalgie (cette forme rampante du ressentiment) pousse devant lui comme le bousier coprophage » Emmanuel Hocquard, Ma haie (un privé à Tanger II), P.O.L., 2001.
[5] Varlam Chalamov, Vichéra, éditions Verdier (2000).
[6] « Je me sens très seul, je suis très seul – avec moi-même et mes poèmes (je tiens d’ailleurs moi-même et mes poèmes pour une seule et même chose). » Paul Celan, in Adorno / Celan, Correspondance, éditions Nous, 2008.
[7] Ici comme dans beaucoup d’autres textes, l’écriture de C. Favre évoque souvent avec cette phrase de F. Karinthy : «Je ne plaisante jamais avec l'humour.», Voyage autour de mon crâne, éditions Viviane Hamy (1990).


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