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Le Monde de Sophie

Publié le 09 avril 2009 par Boustoune

Des mots et des maux… C’est ainsi que l’on peut résumer le cinéma de Sophie Fillières. La cinéaste construit de film en film un univers totalement loufoque et décalé, où gravitent des adultes immatures ayant du mal à accepter leurs responsabilités et éprouvant les pires difficultés à vivre sereinement dans une société complètement folle, et dans lequel le langage et le jeu sur le sens des mots sont des éléments fondateurs.
Un Chat un chat se situe dans la même veine que les deux précédentes réalisations de Sophie Fillières.  Comme dans Gentille, la cinéaste se centre sur une héroïne trentenaire apparemment bien dans sa peau, mais traversant en fait une phase difficile, sur le plan professionnel comme sur le plan sentimental. Et comme dans Aïe, le personnage principal va trouver une solution à ses problèmes grâce à l’irruption d’une fille étrange dans sa vie, une sorte de bonne fée…
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Ce nouveau film nous plonge donc dans les problèmes existentiels de Célimène, un écrivain en panne d’inspiration, et en pleine crise identitaire (la preuve, elle se fait appeler Nathalie, mais aimerait encore changer pour Natacha…). Outre son syndrome de la page blanche, elle doit en outre faire face à des crises de somnambulisme pâtissier, gérer une rupture amoureuse – de son initiative-, s’occuper de son fils de sept ans qui lui pose beaucoup de questions, organiser les travaux dans son bel appartement parisien qu’elle n’a presque plus les moyens de payer, supporter la vie, provisoire, chez sa mère et tenir à distance une fan un peu trop envahissante.
Cette dernière se prénomme Anaïs et aimerait que l’on écrive sur elle, sur sa vie pourtant peu passionnante de lycéenne. Elle aussi est à la recherche d’une identité, d’une façon de se démarquer. Mais les deux démarches sont opposées. Anaïs a encore tout à apprendre, tandis que son idole a besoin, au contraire, de désapprendre, de perdre les références qui l’empêchent de trouver sa propre voie – voir l’amusante séquence où, croyant avoir enfin retrouvé l’inspiration, Célimène s’aperçoit qu’elle a réécrit inconsciemment des vers de « L’albatros » de Baudelaire. De la même façon, l’une ne connaît rien de l’amour, l’autre en est blasée, lassée et cherche à s’en éloigner.

Les deux personnages sont en fait très complémentaires, et l’une des façons de mettre un peu d’ordre dans ce film qui semble partir un peu dans tous les sens – au risque de perdre des spectateurs en route – serait de considérer Anaïs comme la représentation de Célimène jeune. Une part d’elle-même que l’écrivaine a peut-être perdu en route, ou qu’elle regarde différemment à l’approche inexorable de ses quarante ans. Un peu comme la Myrtle Gordon d’Opening night, Célimène a peut-être juste besoin de se réconcilier avec elle-même, d’accepter son âge et les responsabilités qui vont avec. Il faut qu’elle accepte la présence intrusive d’Anaïs, qu’elle réintègre cette part d’elle-même pour pouvoir retrouver l’inspiration et l’envie d’écrire, considérer sa vie sous un autre angle et aller de l’avant.
Si elle est quelque peu écrasante, la comparaison avec le chef d’œuvre de Cassavetes est loin d’être absurde. Les deux films traitent de la création. Dans un cas, par le biais du travail d’une actrice, dans l’autre par le biais du travail d’une écrivaine. Avec à chaque fois, une subtile mise en abîme puisque les cinéastes se projettent eux-mêmes dans leurs personnages. Et c’est encore plus vertigineux ici, puisque Anaïs est donc un peu Célimène, qui veut qu’on appelle Nathalie, mais qui représente en fait Sophie… (Oui je sais, c’est difficile à suivre, mais faites un effort, quand même…).
Célimène, comme Sophie Fillières, est un auteur. Elle donne naissance à des personnages, à des histoires qui sont l’image de son univers mental – ici particulièrement déjanté. Le côté un peu divin de cette création est souligné de façon humoristique, par le prénom porté par le fils de l’écrivaine, Adam et par une pseudo Eve (Anaïs) qui aime à offrir des pommes déjà croquées.
Anaïs, elle, veut être inventée, ou se réinventer sous le regard de l’auteur. On ne sera donc pas étonné d’apprendre, à la fin du film, qu’elle souhaite devenir comédienne, et de voir l’œuvre traiter indirectement du rapport cinéaste/acteur sous couvert de l’exploration d’un rapport auteur/personnage.

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D’ailleurs, on peut féliciter au passage les acteurs du film pour leurs prestations – et surtout les actrices, toutes formidables. Il ne devait pas être si aisé de camper des personnages aussi loufoques et de réciter avec autant de conviction des répliques volontairement théâtrales. Agathe Bonitzer, la fille de la cinéaste, est parfaite dans le rôle d’Anaïs, cette jeune femme à la fois attachante et insupportable qui peu à peu s’impose dans la vie de Célimène. Incarnant cette dernière avec un brio comique qu’on n’avait jusqu’alors guère eu l’occasion de découvrir, Chiara Mastroianni s’inscrit dans la lignée des alter-ego déjantés de Sophie Fillières et décroche enfin un premier rôle qui lui permet d’exposer toutes les facettes de son talent d’actrice.
Un chat un chat est un film très personnel dont les scènes, apparemment totalement décousues, sont finalement les pièces d’un puzzle psychanalytique et intime que le spectateur est invité à reconstituer, en jouant sur les clins d’œil, les traits d’humour, les correspondances entre les situations, ainsi que sur les double sens des mots… On s’amusera, par exemple, de voir le fils de Célimène réciter sa leçon sur la tectonique des plaques, alors que sa mère est, elle, complètement «à côté de la plaque». Ou de voir Anaïs parler d’une «colle» de philo (une interrogation / un examen) alors qu’elle se comporte avec Célimène comme un vrai « pot de colle ».
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Dans ce film, le langage est la clé de tout. Tout repose sur les mots, les paroles ou l’absence de paroles, ces outils qui permettent de communiquer, de s’exprimer, d’identifier précisément les choses… Le problème de Célimène, c’est qu’elle ne trouve pas, qu’elle ne trouve plus les mots. Ainsi, elle ne parvient pas à quitter son amant, incapable d’expliquer pourquoi elle veut se séparer de lui. Elle ne parvient pas non plus à dialoguer avec son fils, avec sa mère. En plein doute, elle fait tout à l’envers. Chez le psy, Célimène ne prononce aucune parole et écrit ses pensées sur un petit calepin. Chez elle, elle parvient à parler, mais oublie d’écrire les belles phrases qu’elle prononce… Bref, rien ne va… Pour que les choses s’arrangent Célimène doit retrouver sa voix, et sa voie… En attendant, l’écrivaine essaie de communiquer avec les moyens du bord, en inventant des mots « Je me débiboche » ou « la jeunefillitude », ou en faisant des choses très étranges, comme essayer de se jeter dans une poubelle…
Drôle de façon de manifester sa détresse, pour un drôle de film, dans lequel Sophie Fillières, à l’instar de son héroïne, évolue au gré des humeurs et de l’inspiration du moment, pour finalement livrer un propos cohérent pour qui veut bien se donner la peine de s’y intéresser. Car évidemment, tout le monde n’adhérera pas au style de cet objet cinématographique non-identifié, assez surréaliste, et certains seront frustrés de ne pas être sensibles au charme et à la subtilité de l’œuvre. Désolé pour ceux-là, mais il faut appeler un bon film un bon film : Un chat un chat prouve que les comédies françaises peuvent encore réserver d’heureuses surprises, loin des navets formatés comme Coco ou Cyprien
Note :
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