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Martyrs de Pascal Laugier

Par Geouf

Résumé : En 1971, une jeune fille, Lucie, s’échappe d’un entrepôt désaffecté dans lequel elle était retenue prisonnière et torturée. Traumatisée par son expérience, elle est incapable de donner une quelconque description de ses bourreaux. Quinze ans plus tard, elle reconnaît ses persécuteurs sur une coupure de presse. Elle se rend à leur domicile et les abat ainsi que leurs enfants. Désorientée, elle appelle son amie Anna à la rescousse et la plonge malgré elle dans une spirale de violence et d’horreur sans précédent…

Difficile de parler de Martyrs sans évoquer l’émoi que celui-ci a provoqué lors de sa sortie : journalistes choqués à la sortie de la projection de presse, interdiction aux moins de 18 ans finalement rabaissé à 16 ans après un second passage devant la commission de classification, final réputé insoutenable, bref un énorme buzz dans la communauté française des amateurs de ciné de genre (parce que dans le reste de la France, personne n’a entendu parler de ce film). Autant d’éléments qui font de la seconde réalisation de Pascal Laugier un film très alléchant. N’habitant pas en France, c’est cependant avec quelques mois de retards que je découvre le film et que je peux enfin me faire un avis.

J’avais déjà bien apprécié le premier film de Laugier, le très sympathique Saint-Ange, qui sortait un peu de la routine habituelle des films d’horreur à la française en proposant un décor imposant, une photographie et une réalisation soignées. Martyrs ne suit pas vraiment les traces de son prédécesseur en termes de réalisation, jouant sur un tout autre registre. En effet, Laugier privilégie ici un cadre « naturaliste », avec peu d’effets compliqué, mais un montage d’une précision impressionnante. Le contrepoint, c’est que toute cette mise en scène recherchée se fait tellement discrète que du coup on a parfois l’impression d’une certaine platitude. De plus, le réalisateur tombe souvent dans la citation un peu trop appuyée de classiques du genre. A vrai dire, la première moitié du film fait assez peur (et pas dans le bon sens du terme), puisqu’on commence par un prologue faisant furieusement penser au Sisters de de Palma, pour ensuite bifurquer sur une intrigue à la limite du plagiat de La jeune Fille et la Mort de Polanski pour se retrouver dans le très mauvais A l’Intérieur : même décor unique de grande maison bourgeoise froide, mêmes effets sanglants outranciers (tout de même largement moins gratuits que dans le film suscité), mêmes personnages de femmes hystériques qui passent leur temps à hurler. D’autant que le réalisateur oublie quelque peu de développer correctement ses deux héroïnes (on ne sait absolument rien sur les elles, mis à part qu’elles sont amies), laissant bon nombre de questions cruciales en suspend : pourquoi Anna était-elle dans le même institut que Lucie, qu’ont-elles fait durant ces quinze années qui se sont écoulées, d’où vient la brouille entre Anna et sa mère, etc. A l’opposée, Laugier emballe quelques scènes avec une finesse pachydermique, ce qui a tendance à agacer : pourquoi par exemple mettre cette scène de baiser avorté entre les deux jeunes filles alors qu’il est clair qu’Anna est amoureuse de Lucie ? Dans le même registre, tout le monde aura deviné que la femme qui poursuit Lucie n’existe que dans sa tête et n’est que le reflet de sa psychose. Du coup cette révélation tombe un peu à plat. Heureusement, les deux actrices principales font du très bon boulot, réussissant à compenser l’écriture approximative des personnages par leur talent. Le film commence cependant très mal, et si l’on s’accroche, c’est réellement pour connaître le fin mot de l’histoire : est-ce que Lucie ne s’est pas trompée sur l’identité de ses ravisseurs, et surtout pourquoi lui ont-ils fait subir toutes ces tortures ? Ce n’est finalement que dans sa dernière demi-heure que le film révèle toute sa force et sa perversité, après un retournement de situation prévisible mais assez mal amené (on se demande en effet pourquoi Anna n’a pas appelé la police après la mort de Lucie et la découverte de la pièce secrète).

Durant ce dernier tiers, le film monte crescendo, les explications tombent une par une jusqu’à la révélation finale, et les émotions contradictoires qu’elle suscite. Le scénario implacable de Laugier révèle enfin toute son ampleur et sa saveur. La réalisation se fait alors beaucoup plus mécanique et froide, à l’image de ces immondes tortionnaires qui déshumanisent petit à petit la pauvre Anna, jusqu’à la transformer en un simple outil au service de leur soif de connaissance. Mais heureusement, Laugier a l’intelligence de ne pas tomber dans le voyeurisme à la mode de nos jours, et ne propose que le stricte nécessaire en termes de scènes gores (très impressionnantes au passage, grâce au travail impeccable de Benoît Lestang) . L’ultime torture infligée à la jeune fille et la révélation de la raison de tout ceci finissent d’ailleurs par balayer sur leur passage tous les doutes que l’on pouvait avoir concernant le manque d’implication émotionnelle, faisant réellement naitre un immense sentiment de colère et de dégoût mêlés. Dégoût devant la futilité de la raison pour laquelle ces gens torturent des jeunes filles innocentes, et colère devant le fait qu’on arrive presque à comprendre leurs motivations. Mais le plus étonnant, c’est que ce final nihiliste en diable (mais néanmoins très inspiré de celui de La Secte sans Nom) s’infiltre insidieusement dans l’esprit du spectateur pour ne plus le quitter. Ce n’est vraiment que quelques heures après qu’on ressent tout le malaise suscité par cette fin. Un malaise suscité bien sûr par l’horreur de ce que l’on vient de visionner, mais aussi parce Laugier ne prend pas vraiment parti, laissant les images parler d’elles-mêmes. Pas de morale salvatrice, aucune rédemption de qui que ce soit, ni de méchants punis, juste le désespoir…

Et malgré tous les défauts du film, c’est finalement ce jusqu’auboutisme et cette intégrité tellement rares de nos jours qui font que l’on est content qu’un film comme Martyrs existe…

Note : 7/10

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