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4 mois, 3 semaines, 2 jours, une réussite

Par Critikacid
Ce serait sans doute s'arrêter à la surface des choses que de faire de cette palme d'or roumaine, émanation d'un cinéma plein de vigueur, une  simple peinture des dernières années des régimes staliniens à l'est de l'Europe. 
Certes, cette Roumanie miséreuse et prise dans une toile d'araignée policière tentaculaire donne au sujet du film une rudesse accrue encore. En effet dans cet Etat à bout de souffle, le chacun pour soi, le système "D" a pris une ampleur extrême, illustrée de manière récurrente par la chasse aux cigarettes américaines de contrebande, monnaie d'échange indispensable pour arriver à ses fins, quelles qu'elles soient.
Mais le sujet de ce film ne relève pas de l'histoire ancienne, d'une description éventuellement pittoresque des conséquences tragiques des délires mégalomaniaques du dictateur Ceaucescu (l'action se déroulant deux ans avant l'effondrement de son régime).  Il s'agit des conséquences sur les femmes de l'interdiction de l'avortement par un pouvoir qui escomptait ainsi relancer la démographie  roumaine. 
Plus largement, il n'est pas exagéré de voir en ce film une démonstration de ce qu'est l'oppression des femmes, livrées au pouvoir des hommes jusque dans la sphère de leur intimité (illustrées par la veulerie manifeste du fiancé d'une des deux héroïnes). 
Inconstestablement, la question de l'avortement, du droit des femmes à disposer de leur corps, est le meilleur révélateur de l'état d'une société.  Rappelons par exemple que la révolution russe de 1917 prendra parmi ses premières décisions d'autoriser l'avortement, décision sur laquelle Staline revint vingt ans après avant que, une fois Staline décédé, son successeur ne rétablisse ce droit fondamental.
Dans "4 mois, 3 semaines, 2 jours", la loi, l'Etat, acculent une jeune femme, victime qui plus est de sa propre ignorance, à se livrer totalement, et avec elle sa compagne de chambre étudiante, au pouvoir d'un avorteur clandestin qui - à l'instar des dictateurs de tout poil - prétend agir pour leur bien et les réduit à l'état de proies sans défense.
Cristian Mungiu fai ressortir à chaque plan la solitude de ces filles et l'inhumanité de leurs conditions d'existence avec une grande pudeur (on ne montre ici que le minimum nécessaire), et avec des images fortes et vivantes, qui sont presque un manifeste contre le cinéma trop bien léché, où le noir est véritablement noir.
Mais l'oppression de ces femmes qui est l'oppression de toutes les femmes est, répéons-le, un sujet qu'on ne saurait cantonner à une étude du passé de la Roumanie. Sans nous apesantir ici sur les décès réguliers de femmes battues en France, reléguées dans le domaine de l'invisible, ni sur le renforcement dans notre pays aussi des lois sécuritaires qui renforcent les pouvoirs de la police en tout domaine, informons ceux qui l'ingnoreraient  que le chef de l'Eglise catholique a prononcé un discours à Vienne, hier, dans lequel il a relancé le combat pour que l'avortement soit banni en Europe, notamment pour lutter contre le "déclin démographique".  Etrange alliance poursuivie post-mortem entre les plus effroyables rejetons du stalinisme et la hiérarchie catholique, n'est-cepas? Précisément, les associations anti-avortement  en France avaient obtenu un moment du ministre de l'Education nationale que ce film, bien que palme d'or à Cannes, ne soit pas projeté aux élèves  de notre pays. Finalement, le ministère à fait machine arrière, après avoir dans un premier temps cédé à ces sinistres amis intimes. Autant de raisons  qui militent à l'inverse pour que ce film soit vu, discuté, commenté, et ... apprécié! 

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