L'usage du monde : joli titre choisi par Nicolas Bouvier pour l'un de ses livres considéré aujourd'hui comme un classique de la littérature. « L'usage du monde » est aussi le nom d'une librairie à Strasbourg que je ne connaissais pas avant d'y réaliser une interview : celle de l'écrivain Fatou Diome dont j'ai lu les deux précédents opus Kétala et Le ventre de l'Atlantique.
Ce vendredi 17 avril, l'auteure venait dédicacer son dernier roman, Inassouvies, nos vies, sorti au mois d'août dernier chez Flammarion et que, compte tenu d'un emploi du temps pour le moins chargé, j'ai attaqué avec beaucoup de retard. Honte à moi !
Inassouvies, nos vies met en scène Betty, jeune Strasbourgeoise un peu perdue, qui va se lier d'amitié avec une de ses voisines surnommée Félicité – le lecteur n'apprendra jamais sa véritable identité -. Depuis la mort de son Antoine, cette dernière vit seule avec son chat, ignorée par une famille dont les membres n'ont, comme beaucoup, que peu d'intérêt pour les anciens.
Betty, elle, n'appartient pas à ceux qui considèrent la curiosité comme un vilain défaut, surtout s'il s'agit d'aller à la rencontre des autres. Rencontre qui pourtant se passe mal avec Félicité, cette dernière ne supportant visiblement pas de voir la jeune femme lui refuser son invitation à prendre le thé pour bavarder un peu. Alors, oui, ça commence mal entre elle deux. Mais Betty ne cherchera pas longtemps à fuir Félicité car celle-ci disparaît du jour au lendemain.
Curieuse Betty qui part à la recherche de cette vieille dame. Et finit par la trouver dans une maison de retraite, ces lieux, vous le savez, où certains pensionnaires finissent même par oublier qu'ils attendent la mort. La benjamine comprendra aussi comment son aînée est arrivée là. Je vous laisse découvrir ces merveilleux passages qui prennent pour cible le neveu de Félicité. Mais laissons de côté ces chameaux qui ne méritent pas notre considération de lecteur, d'humain.
Le dialogue, l'amitié entre ces femmes se développent au cours des rencontres dans ce foyer. Betty vient apporter l'énergie, le mouvement.
« Pour Betty, on est vivant tant qu'on sait s'émerveiller, c'est-à-dire qu'on doit découvrir, sentir, éprouver, goûter, déguster, apprécier, savourer la vie, même avec deux dentiers. »
« Vieillir, ruminait Betty, c'est renoncer malgré soi à ce que la vie, créancière implacable, récupère sans crier gare. »
Ce livre appelle à réfléchir sur la notion de temps. Temps à consacrer aux autres, en premier lieu. Sous d'autres latitudes que les nôtres, les anciens font l'objet d'un véritable culte. Ils sont pleinement enracinés dans la société. En Occident, la vieillesse n'est pas rentable. En plus, elle est ennuyeuse. Ce que dénonce d'ailleurs Fatou Diome – à écouter dans l'entretien qu'elle m'a accordé, voir plus bas -.
« Betty savait maintenant ce qui différencie les habitations familiales des maisons de retraite. Dans les premières, la banalité et la vitesse du quotidien masquent les faits qui feront les reliefs de la mémoire. Quant aux secondes, ce ne sont pas des lieux de vie mais de résurrection, où seule l'exhumation du passé donne du tonus à la morne lenteur du présent. A un certain âge, se souvenir, c'est une preuve de vitalité. Les vieux ne radotent pas, ils revivent. Les vieux ne radotent pas, ce sont des pédagogues qui s'ignorent. La répétition est la meilleurs garantie de la transmission du savoir. Les vieux ne radotent pas, ils sèment plusieurs fois plutôt qu'une, car ils savent qu'ils détiennent des trésors en voie de disparition. »
Pour les amateurs de phrases courtes et définitives, ce livre est une merveille. Exemple :
« Courteline dit qu'à partir d'un certain moment, on n'a plus le droit de se laisser emmerder gratuitement. »
En fait, chacune des deux femmes est une bouée de sauvetage pour l'autre. Car Betty est une craintive. Craintive, paradoxalement, du monde extérieur, de la vie.
« Pour elle, choisir des habits c'était répondre à la question comment vas-tu ? »
Autre personnage à ne pas négliger, l'aide-soignante qui, et j'ai beaucoup aimé cela, n'est pas venue à ce travail par angélisme mais par nécessité.
Ainsi suivons-nous ce duo-trio au gré des visites au foyer. Chacun des ces déplacements permet à Félicité d'en savoir plus sur ses anciens voisins d'immeuble dont l'existence a aussi sa part de bonheur mais aussi et surtout, ici, de malheur. Car on meurt autour de nous, sans que nous ne le sachions toujours. On meurt dans l'indifférence de l'autre. Cet autre qui se donne bonne conscience en cherchant à faire le bien loin de chez lui plutôt que de commencer à le faire à côté de chez lui.
Vous vous délecterez probablement, comme ce fut mon cas, en lisant les descriptions que fait Fatou Diome d'une prof écolo-bobo. Vous savourerez sans doute les longues tirades sur l'Afrique dont est originaire cette auteure sénégalaise à la langue si poétique.
En parler davantage serait rompre le charme que procure la lecture de ce nouvel opus. Qu'il me soit donc permis de vous inviter à aller au plus vite chercher un exemplaire de Inassouvies, nos vies, et de remplir votre besace – si ce n'est déjà fait – des ouvrages précédents de Fatou Diome.
Et si ces mots ne suffisent pas, alors écoutez donc Fatou Diome. En espérant que, comme moi, vous poursuivrez votre journée dans un bien meilleur état d'esprit que vous ne l'avez entamée. Bonne écoute !
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 26 avril à 23:28
excellent livre. G PRI UN GRAN PLAISIR A LE LIRE ET RELIRE ENCORE ET JE M Y RETOUVE TOTALEME?T