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En Français ça se dit Dans la Brume électrique. Poétique non? C'est le titre du nouveau film, américain (d'où l'Anglais), de Bertrand Tavernier, avec Tommy Lee Jones (l'acteur texan aux airs de vieux demi Cheyenne triste.) Un tel titre a le mérite de taquiner la curiosité - on a beau savoir que c'est d'abord le titre d'un polar de James Lee Burke, dont le film est l'adaptation (auteur et acteur faisant donc Lee commun), l'information ne nous avance pas à grand chose. Bref, après avoir vu ce film plutôt agréable, une explication de texte s'impose.
La Brume, on est en plein dedans. Avant tout au travers d'une esthétique de brouillard, qui aime les marais et les entre-deux. La photographie nous fait facilement aimer les paysages de Louisiane. Arbres enracinés dans l'eau, branches humides, nuages lumineux, l'image se met lentement en mouvement, dans une atmosphère d'humidité solaire. C'est dans cet état d'hébétude, souvent chagrine, que s'installe d'abord le film. Probablement aussi parce que la terre qui nous est ainsi montrée a connu des drames et des dévastations. Les deux fantômes qui hantent le film sont celui de la guerre de Sécession et celui du cyclone Katrina. La brume, c'est donc d'abord la coexistence du passé et du présent, ce sont les traces d'une catastrophe et l'erratique déroute d'un bataillon de Confédérés.
La mise en scène a elle aussi cet aspect de cheminement erratique. On s'attarde d'un côté, puis de l'autre, on amorce des recherches sur la mort d'une prostituée, on créé des liens avec un acteur dépravé, puis on commence un improbable dialogue avec un général sudiste... Tout ça ressemble à un rêve alcoolisé, la boisson étant pour le moins présente dans cette histoire qui aurait presque l'air d'être racontée, en voix-off, dans une réunion d'Alcooliques Anonymes (plus littéraire que la moyenne quand même.) Bref, Tavernier ne se contente pas du simple polar, dont il détourne assez bien les codes, pour donner plutôt un aspect de balade ou d'errance à son film.
Pourquoi alors, dans cette ambiance lente et imbibée, va-t-on nous parler de brume électrique? L'atmosphère, ainsi décrite, n'est pas seulement hantée par le passé: elle est aussi une interminable attente. Attente d'avant l'orage, comme si les éclairs annonçaient un tonnerre qui ne venait jamais. Bien sûr de temps en temps on a envie qu'il pète un bon coup (l'orage bien sûr, je ne me permettrais pas.) On devra pourtant attendre et en guetter patiemment les signes, qui sont aussi ceux d'une possible résolution de l'énigme. En somme, comme on parle d'atmosphère électrique, où il suffit d'une étincelle pour que tout s'embrase, il y a dans ce film cette espèce d'état de latence qui noie les conflits et laisse flotter les révélations.
L'affaire finit cependant par éclater au grand jour et l'enquête par se résoudre. Mais c'est trop beau et trop vite pour être vrai. A partir des trois quarts du film on a la sensation que Tavernier se souvient qu'il est en train de faire un polar - et se trouve bien emmerdé d'avoir fait le poète pendant tout ce temps. On revient à l'enquête, et on résout ça tranquillement, en saupoudrant le tout de quelques classiques états d'âme de flic. Peut-être eut-il fallu, en un sens, mieux assumer le polar. Mais c'est en même temps ce côté bancal qui fait l'attrait du film, on l'a dit, très agréable.