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Livre : Les os de la terre de Bio Diallo

Par Bababe

20 ans après les évènements de Mauritanie : un livre

"Avec Les os de la terre, je montre l’image lugubre de certaines de nos escales de vie. Car on ne construit pas une nation sur des palissades de hontes. Ou de feintes. Il me semble que c’est l’élan entrepris par les nouvelles autorités. Seule une parole libérée, surtout de main tendue, peut panser des plaies honteusement ouvertes. Aujourd’hui, je dis, bâtissons ensemble le nouveau pays." Bios Diallo


On croyait Bios Diallo complètement happé par son émission, Mauritanie Plus à la TVM , devant laquelle artistes, intellectuels et hommes politiques se bousculent depuis trois ans.
Puis ses nouvelles fonctions de Conseiller chargé de la communication au Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Enfin qu’il observait le profil bas, comme c’est le cas pour tous ceux qui rentrent au pays, après de longues années d’absence ou d’exil.
Que non ! Bios Diallo continue sa passion pour l’écriture. "Les os de la terre", son nouveau et second recueil de poésie qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan où il avait publié son précédent vertigineux texte "Les Pleurs de l’arc-en-ciel", le prouve.
Les os de la terre (Ed L’Harmattan, 158 pages) est un emboîtement de poèmes de révolte, de quête d’identité, de rupture d’exil et surtout un hymne à la terre retrouvée:la Mauritanie. Un pays que le poète voudrait voir épargné de toute haine, de toute blessure ethnique.
Bref, une nation unie où tous les Mauritaniens chaloupent ensemble en toute confraternité. Nouakchott-Info vous offre la première interview de cet écrivain prolixe qui, à coup sûr ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Car Bios Diallo, qui a eu le bonheur de rencontrer de grands hommes de lettres ; Mongo Beti, Wolé Soyinka, Sembène Ousmane, Cheikh Hamidou Kane, lequel a d’ailleurs préfacé son essai De la naissance au mariage chez les Peuls de Mauritanie (Karthala, 2005), est un touche à tout.
En France où il a résidé pendant 11 ans, avant de revenir au pays en 2006, il a collaboré à plusieurs ouvrages dont Les Paris des Africains (Ed Cauris, 2002) et rendu visite en Martinique l’écrivain qui semble l’inspirer le plus, Aimé Césaire ! De sa rencontre avec ce dernier naîtra un grand attachement aux îles de l’autre côté et un livre co-écrit avec une bonne crème de l’intelligentsia africaine : Césaire et Nous. Un vibrant hommage consacré au poète Martiniquais, avant sa mort. Bios Diallo qui estime que l’unité nationale doit être la préoccupation de tous s’est prêté volontiers à nos questions.
Nouakchott-Info : On vous croyait réduit au silence et voilà que…
Bios Diallo : Pourquoi, donc ?
Comme ça. Parce qu’une fois au pays, on ne parle plus. Disons que c’est le constat, avec beaucoup de gens qui reviennent.
Il y a parole, et parole. Le silence, on l’adopte quand on le veut.
Oui, mais reconnaissez que le recueil que vous publiez n’est pas une parole simple. J’allais dire une parole de complaisance.
Le contraire m’aurait étonné. Autrement dit j’allais tout simplement pas écrire. Les os de la terre ne caresse pas dans le sens du poil ! Mais c’est sans nul doute de cela que le pays aussi besoin.
La Mauritanie a besoin d’une parole partagée. D’une parole libre de ses fils. Que ces derniers se confient les joies qu’ils ressentent, mais qu’ils ne se cachent pas non plus les frictions nées de moments douloureux. Les blessures du passé ne trouveront leurs remèdes que dans l’expression sincère des voix.
En cela, les actes effectués il y a quelques semaines, par le général Mohamed Ould Abdel Aziz à Kaédi, et à Rosso avant, comportent des symboles. Reconnaître, les douleurs et peines affligées sur une partie de ses compatriotes, relève d’un certain courage. Ce n’est pas pour rouvrir des plaies, mais simplement dire assumons. C’est peut-être rien, mais c’est beaucoup aussi; car le pardon passe par là.
C’est politique, ça !
Je ne vous dirai pas non. Mais moi, j’observe la symbolique. Et en politique, puisqu’on y est, il y a ceux qui vont vite, les téméraires qui ont le goût du risque, et ceux qui misent sur le calendrier du temps. Dans l’un et l’autre cas, seul le temps reste juge, suivant la dose de succès ou d’échec.
C'est-à-dire ?
Si on est pressé, il peut y avoir des risques de contingences. Et si on est trop lent, de multiples greffes peuvent aussi alourdir la machine. Dans l’un et l’autre cas, tout dépendra de l’entourage qui conseille, peaufine les stratégies.
Et le recueil alors ?
Une suite, logique, du précédent texte, à savoir Les pleurs de l’arc-en-ciel. Le second jet, si vous voulez ! Après les pleurs, le titre entendu, je me suis dit que je me devais de livrer la suite de tout ce que j’avais couché sur du papier. Autrement dit poursuivre la parole confidente que je ne pouvais garder sur moi. Puisque continuer à me parler moi-même allait être plus douloureux à conserver.
Et alors ?
Et alors, je suis revenu poser mon ardoise, pour ne pas dire mon cahier. Car la grande partie de ces textes datent de mes années de lycée à Sélibaby, puis certains autres à Nouakchott au moment où je poursuivais mes études à l’université. Autrement dit ce que vous avez sous les yeux est déjà vieux de décennies ! Quelques 2 à 3 poèmes dépeignent mon séjour en France et la douleur du pays absent. Enfin la fin qui marque mon retour au pays, et ce désir de vivre les choses sur le terrain.
Avec Les os de la terre, je montre l’image lugubre de certaines de nos escales de vie. Car on ne construit pas une nation sur des palissades de hontes. Ou de feintes. Il me semble que c’est l’élan entrepris par les nouvelles autorités. Seule une parole libérée, surtout de main tendue, peut panser des plaies honteusement ouvertes. Aujourd’hui, je dis, bâtissons ensemble le nouveau pays.
Défendons la nouvelle chance qui s’offre à nous, la voie vers l’unité. Mais, une fois de plus, il est difficile de faire le deuil lorsque la cuve de notre peine nous est interdite. Ou lorsque, quand on est de l’autre bord, on culpabilise sans avoir le courage des yeux à regarder. Il faut donc extraire le glaive. Et puisqu’une faute reconnue est à moitié pardonnée, notre foi en un islam commun fera le reste.
C’est ce qui ressort dans le texte qui a été illustré par la peintre Amy Sow. Et tableau signifie regards. Comme quoi même les peintres, les artistes, sentent l’extrême urgence du dialogue. Qu’on se parle, qu’on se regarde ! Je dis merci à Amy Sow, pleine de talent par ailleurs, et qui n’a pas hésité une minute à accompagner mon encre par son pinceau. Une belle collaboration du reste.
Votre deuil est-il fait ?
Le deuil, profond monologue intérieur d’une blessure, il faudra le demander à des gens qui ont été plus touchés dans leur chair que moi. Et il en existe, malheureusement sur cette terre, qui ont besoin du réconfort. Mais le travail de l’écrivain consiste en cela aussi. Savoir se saisir des peines d’Autrui pour exprimer son humanité ou sa révolte. On œuvre alors pour le rétablissement de la justice.
Sans nul doute alors que mon deuil a connu une évolution positive. Puisque volontairement je suis revenu m’installer au pays. Comme d’autres, car rien ne vaut le pays des ancêtres. C’est toute l’expression de joie qu’on a lu sur les visages des déportés qui vivaient au Sénégal et au Mali à qui on a créé, à la suite de différentes manœuvres, des conditions de retour dans le tissu social de leur Mauritanie qui ne les a jamais quitté malgré l’éloignement.
Pour vous la marche vers l’unité est devenue irréversible ?
Votre question est pertinente. Mais elle cache une profonde douleur, puisqu’elle suppose que nous avons pris beaucoup de retard sur ce qui devait faire notre bonheur. Perdant de vue que la Mauritanie est comme un pagne sur lequel chacun peut s’asseoir ou en lever un pan de l’étoffe pour se couvrir. Sans que cela n’altère la quiétude de l’autre. Et seuls les esprits chagrins peuvent penser le contraire. La Mauritanie est une terre hospitalière. C’est pour cela qu’elle est très propice à la paix, à l’amour des rencontres.
Le reste relève d’errances isolées, même si celles-ci ont fait trop de peines à chaque fois que la vigilance a manqué. Ma conviction reste, cependant, qu’il y a plus de gens qui pensent à son bien, à son équilibre. Et si chacun y met du sien, prend son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole, notre unité sera vite renforcée puisqu’il y a plus de choses qui nous unissent que celles qui devraient nous séparer.
Presque toutes les familles, ou tribus du pays, connaissent des proximités de sang ou de cultures. C’est donc à chacun de se mettre derrière le petit arbuste qu’est le drapeau national, et de veiller à la bonne marche du troupeau vers le puits du bonheur. Voilà pourquoi le deuil, des douleurs du passé, doit être l’œuvre de tous. Et non la revendication des uns, et le mépris des autres. Laissez-moi vous dire que j’ai foi en l’homme mauritanien, et que plus jamais il n’acceptera de sombrer dans ce qui ne fera pas l’unité de son pays.
Propos recueillis par Bakary Guèye
Source : Nouakchott-Info N°1712 du 15 avril 2009 
 


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