Exposer des corps humains plus que nus, plus que dévêtus, est-ce une faute de goût ? un hymne à la technicité ? ou un reniement de cette petite étincelle qu'il y a en chaque être humain ?
Je fais confiance à la justice de mon pays. Cela n’a l’air de rien, mais c’est une phrase très importante. Si vous ne faisiez plus confiance à la justice de votre pays, ce ne serait même pas la peine de respecter la loi, puisque la justice serait incapable de la faire respecter (c’est son seul rôle). J’admets qu’il y a des décisions de justice que j’apprécie moins que d’autres. Mais comme ce n’est pas le cas ce matin du 21 avril 2009, alors je ne boude pas ma satisfaction. Le juge des référés (qui s’occupe des affaires urgentes) du Tribunal de grande instance de Paris vient d’interdire l’exposition anatomique de corps humains "Our Body" en considérant sagement que « l’espace assigné par la loi au cadavre est le cimetière » Une expo très contestée La juriste Valérie Sebag (maître de conférence à Paris XII), interrogée par Rue89, avait rappelé l’article 16-1-1 du Code civil selon lequel « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. » et déclarait (le 20 février 2009) : « [Cette exposition] contredit certainement l’esprit du droit français, qui n’admet d’intervention sur le corps de la personne décédée que dans un but purement scientifique. » Le Comité consultatif national d’éthique avait lui-même déclaré en juin 2008 que l’exposition était une « atteinte à la dignité humaine ». Si La Villette l’avait refusée, une salle lyonnaise l’avait quand même accueillie en 2008, et donc, depuis quelques semaines, une salle parisienne. À la source Un rapide tour sur Internet m’apprend que cette expo est produite par la fondation médicale chinoise "Anatomical Sciences & Technologies de Hong Kong". Je ne veux développer ici aucune sinophobie (bien au contraire, je trouve la Chine fascinante et son histoire passionnante malgré des valeurs très différentes), mais cela signifie quand même que les corps disséqués (dépecés, éviscérés, découpés, innervés) exposés à Paris étaient des Chinois ! Dix-sept jeunes Chinois ! Pour quinze euros l’entrée. Je cite le site officiel : « Les spécimens [vous notez que pour eux, ce ne sont plus des personnes] de l’exposition proviennent de diverses universités, écoles de médecine, institutions médicales, centres de recherche et laboratoires chinois. » Quand je vois l’attention que les autorités chinoises portent aux vies humaines et la manière dont elles "rentabilisent" le corps des exécutés, cela me fait froid dans le dos. Pour ne pas faire sa publicité, je ne souhaite pas donner l’adresse du site officiel qui est bourré d’alibis de "pédagogie", de "science" et de "technologie" alors qu’il ne s’agit que de voyeurisme commercial. Curieuse présentation d’ailleurs qui se veut plus scientifique et éducative qu’artistique : « opportunité unique d’enseigner l’anatomie humaine ». Certes. Satisfait car… Alors, si je me réjouis tant de cette décision de justice, ce n’est pas sur le plan juridique mais éthique. C’est parce que : 1. Pour moi, l’humain doit être respecté, autant mort que vivant : on ne le tue pas quand il vit, on ne le rentabilise pas quand il est mort. 2. Pour moi, l’art ne permet pas tout, et encore moins en dehors des limites de la loi (ce que le juge des référés vient de subtilement rappeler). 3. Pour moi, le besoin de faire connaître, d’enseigner, que ce soit l’anatomie ou l’astronomie, Voltaire ou Mozart, Picasso ou Évariste Gallois, Pasteur ou Niels Bohr…, ne doit pas se faire au détriment du respect de l’humain. Ou alors, pas inutilement : je ne suis pas chirurgien, l’humanité n’a donc pas un besoin vital que je connaisse l’anatomie humaine. Les étudiants en médecine peut-être plus. 4. Plus que l’humain, je peux généraliser sur le respect plus global de la vie, mais en sachant qu’en tant que copieusement carnivore, je me place dans une contradiction fatale qui pourrait se lever maladroitement en opposant la mort utile (pour manger) à la mort inutile (la chasse comme sport ou la tauromachie, par exemple). 5. Mais ici, il ne s’agit plus de vivants mais de morts : je considère qu’un cadavre est certes une coquille vide, mais qu’il mérite respect, dignité, honneur, recueillement de tous. 6. Cela n’empêche pas d’apprécier à sa juste valeur technologique le procédé assez extraordinaire et bien ficelé d’imprégnation polymérique qui a permis ce type d’exposition. 7. Je vais même plus loin : je suis très choqué lorsque je vois des photos de scientifiques très décontractés (les mains dans les poches) à côté de la momie de Ramsès II ou de Toutankhamon. Pas parce que ce sont des rois et que le citoyen d’aujourd’hui doit se prosterner devant eux qui seraient d’origine divine (je suis républicain et favorable à l’égalité de tous les êtres humains). Mais tout simplement parce que ce sont des cadavres comme les autres et que si j’imaginais mon grand-père ou une autre personne proche à la place du pharaon, cela me mettrait très mal à l’aise. Les pharaons ont le droit à autant de respect et de silence que le citoyen d’aujourd’hui, justement. J’utilise beaucoup la première personne du singulier parce que je ne veux parler qu’en mon seul nom et il n’est pas question d’impliquer d’autres personnes dans ces propos. Science, art, justice au service de l’humain Il ne s’agit pas d’être pour une censure, d’interdire l’expression des arts mais simplement, avant même de respecter la loi (comme le juge des référés l’a fait), de respecter l’humain. Simplement, tout simplement. Alors, peut-être vive la science, peut-être vive l’art, mais avant tout : Vive la justice ! Aussi sur le blog. Sylvain Rakotoarison (21 avril 2009) Pour aller plus loin : Décision du tribunal de grande instance de Paris (21 avril 2009). L’exposition "Our Body". Avis du Comité d’éthique (juin 2008).