Voici un livre tout entier dirigé contre l'Aufklärung. L'Aufklarung (1720-1780), ce n'est pas tout à fait nos lumières françaises. Ce renouveau philosophique allemand ne condamne pas la religion, se préoccupe peu de science et privilégie la logique et la métaphysique.
Le général von Lignitz, héros imaginaire de cette histoire, et dont on lit l'éloge funèbre, est un militaire élevé dans les règles de stratégie du XVIIIème, le système frédéricien, une théorie stricte, géométrique, codifiée, raisonnable. Il découvre petit à petit trois choses.
D'abord que la guérilla peut se jouer du bel ordre d'une troupe en manoeuvre.
Ensuite qu'en ce début du XIXème siècle, les armées policées, dressées et royales doivent être remplacées par des armées nationales, enthousiastes et brutales.
Enfin que la guerre est irrationnelle, « le lieu démoniaque qui, par définition, échappe aux entreprises de la raison. » Elle est livrée au hasard, les seules règles qu'elle connaisse sont la simplicité, la brutalité, la rapidité. Les guerres de Napoléon Bonaparte le prouvent à tous ceux qui opposaient de belles théories à ces réalités.
Le talent rhétorique de Jean-Jacques Langendorf, pimenté d'ironie, fait mouche dans cette démonstration qui fait aussi intervenir des références littéraires. On voit notamment dans ce livre des personnages de La guerre et la paix, de Tolstoï, (Andreï Bolkonski, Pierre Bezhoukhov et le général Koutousof).
Par contre, il convainc moins dans la plus courte nouvelle qui suit cet éloge, Les deux maisons, où Langendorf, décidément grand ennemi de la raison, étend sa critique de l'Aufklärung aux lumières françaises à travers une histoire grinçante, un peu superficielle, dans laquelle il illustre l'effondrement de cette philosophie par une fable architecturale et symbolique.
Jean-Jacques Langendorf, Eloge funèbre du général von Lignitz, Zoé poche