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Hubert Nyssen, troisième

Publié le 23 avril 2009 par Irigoyen
Hubert Nyssen, troisième

Hubert Nyssen, troisième

Je vais être franc: je n'ai pas lu Éléonore à Dresde qui, à en croire certains critiques, serait le roman le plus connu d'Hubert Nyssen. En fait, j'ai écouté cet opus, lu par Lara Cowez qui, en plus d'être comédienne, enseigne l'Art Dramatique à l'académie de Mons, en Belgique.

Éléonore à Dresde est l'histoire d'un face-à-face entre deux personnages. Jean Pratt est ethnologue. Il se rend de Lyon à Bruxelles pour donner un cours à l'université. Comme d'habitude, il fait une halte chez Yvonne, en lisière d'une forêt « qui avait longtemps contenu les invasions germaniques, la soldatesque barbare, les cortèges de malheur ».

Cette fois, Yvonne n'est pas là. Elle est partie « pour un rôle » a-t-elle écrit sur un billet où elle assure son hôte qu'il sera en bonne compagnie. Lieu isolé, message sibyllin: le lecteur est d'emblée plongé dans une atmosphère étouffante qui, il me semble, ressemble peu à celles d'Hubert Nyssen.

La bonne compagnie est celle de deux femmes. La première est Jeanne dont Jean fait d'abord la connaissance:

« Elle avait des cheveux longs et cuivrés dont les extrémités lui caressaient les fesses. Et les fesses, arrogantes et hautes, un peu nègres. Un survêtement trop petit, trop moulant empêchait qu'on ne les vit en premier. »

Et puis il y a Éléonore dont la première description prête à sourire. Ce sera sans doute la seule fois dans ce livre:

« Elle apparut dans un cadre de la porte, comme si elle sortait de scène ou y entrait. Drapée dans un boubou décoloré, elle avait le visage dissimulé par une tignasse qui la faisait ressembler à un palmier mourant dans une cuvette abandonnée du souffle. »

Jean Pratt reconnaît en Éléonore Simon l'actrice de Dresde, un soir, un film qu'il a vu autrefois et en a été bouleversé à tout jamais. Très vite, l'ethnologue se laisse envoûter par la voix de la comédienne. La voix, que j'évoquais à la fin de la première chronique consacrée à Hubert Nyssen. Ici, l'auteur ne nous parle plus du sable de la voix mais semble vouloir rendre cet organe encore plus fragile.

« Éléonore bavardait sans se douter qu'il n'était, lui, attentif qu'à recueillir, palper, soupeser le grain, la poudre de sa voix. »

Non, pas d'humour dans Éléonore à Dresde. Ce que regrette d'ailleurs la comédienne qui, elle, cherche la légèreté des sentiments, la douceur de l'écoute, l'ouverture du cœur. Seulement voilà, Jean Pratt veut toujours ramener Éléonore au film quand elle veut précisément se défaire du rôle. D'où la gravité qui se diffuse lentement entre ces deux personnages. Dans cette relation, l'homme semble engagé dans un défi: tisser sa toile et y emprisonner sa victime - il m'a d'ailleurs fait penser au personnage de Spinelli (Spinne : « l'araignée » en allemand) dans Tristan de Thomas Mann -.

« Lequel, en vérité était le geôlier de l'autre ? »

Et si Éléonore consent à rejouer ce rôle pour Jean, cela ne peut être :

« Elle s'était livrée. Lui l'avait flouée par cette prétention de se croire identique en quelques lieux indéfinis, de prétendre à des affinités. Mais qu'allait-il s'imaginer ? »

Plus loin:

« Quel leurre alors. Et surtout quelle fatuité d'imaginer une égalité possible avec une créature qui avait toujours vécu à cette hauteur et de toute évidence ne pouvait en descendre sans mettre sa vie en danger. Mais à la fin, que sait-on des autres en de si capricieux méandres. »

Est-ce le fait que j'ai écouté le texte lu par une comédienne ? J'ai été oppressé par la terrible tension psychologique qui se dégage de ce huis-clos, entre l'inconscient qui guide Jean Pratt et la conscience tragique d'Éléonore Simon ...

« Je n'aime pas les femmes sans passé. »

« Et celles qui n'ont que leur passé ? »

...entre un homme qui veut voir comme avant et une femme qui veut être vue différemment:

« Un instant il avait imaginé qu'elle voulait lui imposer le spectacle d'un corps que l'âge aurait prématurément usé, plissé, terni, rendu par endroits translucides de seins affolés, d'une taille bourrelée. Or, le corps qu'elle lui donnait à voir avec cette arrogance anxieuse était éblouissant. Pratt était fasciné par les seins en particulier, petits et fermes, tout à fait les seins que Munch avait filmés jadis. »

Loin de moi l'idée de vous raconter la fin. Disons simplement, comme le dit Hubert Nyssen, qu'Éléonore Simon pourrait bien réintégrer les bandes du film.


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