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Féministe et féminité

Publié le 24 avril 2009 par Gregory71

Si le nombre de femmes ne cessent de s’accroître chez les diplômés des Beaux-arts et qu’elles parviennent de plus en plus souvent à obtenir des postes de responsabilités (curator, direction, etc.), les grandes expositions ne comportent qu’un pourcentage limité d’oeuvres de femmes. Avec la “Force de l’art 2″ on parle de 16%. On se souvient des manifestations contre l’exposition Dyonisos au centre Pompidou. Beaucoup d’expositions donnent lieu à l’expression d’un désaccord féministe soulignant à juste titre le décalage frappant entre le nombre de femmes artistes et d’oeuvres exposées. Ce phénomème est propre à l’ensemble des pays occidentaux et est devenu si récurrent que les Guerillas Girls, comble du paradoxe, ont été exposées à la Biennale de Venise en dénonçant ce déséquilibre. Malgré l’exactitude de ces faits, leur véracité est soumisse à interprétation.

Notre propos n’est pas ici le féminisme au sens strict de la discipline théorique qui connaît bien les différences entre genre génétique et genre culturel, mais le discours courant tenu au nom du féminisme.

% et représentation
Remarquons que le débat s’articule autour de la notion de pourcentage et de représentation. Le pourcentage est une mesure normative fixant un 100% et dérivant les individualités de cette norme (16% par exemple). Elle est dans la logique de ce que nous nommons le grand zéro, c’est-à-dire d’une annulation abstraite des singularités. De sorte que le discours féministe adopte, on ne saurait lui reprocher, la mesure de notre époque, celles des statistiques et de la moyenne grégaire: comment faire entendre les singularités, s’il s’agit encore de cela en art, à partir du moment ou on adopte une telle moyenne? N’est-ce pas se soumettre d’avance à ce qu’on dénonce? L’exactitude du pourcentage nous entraîne semble-t-il vers une certaine logique que nous subissons, elle implique une idéologie qui n’est pas neutre. Elle divise finalement le monde en deux groupes aux intérêts antagonistes: les hommes et les femmes, dont elles supposent l’homogénéité. Malgré l’évidence des pourcentages, ce n’est pas le seul fondement démonstratif possible du discours.

Génétique et culture
Le plus frappant dans ces discours est la certitude apodictique de tenir pour entendu ce qu’est une femme et ce qu’est un homme. Tous ces discours supposent détenir, sans le démontrer, la définition de ces mots, en se tenant le plus souvent au sens commun (”Oui mais bon on sait ce qu’est un homme et ce qu’est une femme au bout du compte?” En sommes-nous donc si sûr?).
Or, il faut remarquer que la précédente vague de féminisme dans les années 50-60 s’est fondée sur la remise en cause de l’identité sexuelle comme identité génétique pour démontrer que cette identité était avant tout un phénomène culturel, une construction: « On ne naît pas femme, on le devient ». C’est pourquoi cette première vague s’était intéressée particulièrement aux phénomènes limites comme la transexualité pour dévoiler le facteur culturel se cachant sous l’évidence de nos habitudes sociales classiques. Le féminisme première version tentait de remplacer le discours normatif séparant les hommes des femmes par un discours des singularités faisant émerger la figure d’un individu dont la sexualité est déterminante sans être déterminée. C’est pourquoi l’un des premiers combats du féminisme fut l’école mixte.
Le féminisme actuel relève plus de la féminité, c’est-à-dire est un combat pour les femmes en tant que groupe déterminable. Le présupposé est qu’être femme est un fait génétique et identitaire dont la stabilité permet l’appropriation d’un discours. De façon très paradoxale, le discours féministe signe la victoire des ennemis d’hier qui croyaient en une sexualité déterminée. Le fait de se rattacher ainsi à la génétique n’est pas propre au féministe, on en retrouve certaines traces dans le discours d’homosexuels défendant l’idée que leur sexualité n’est pas un choix mais une détermination génétique. On aperçoit le bénéfice immédiat de cette posture: si ma sexualité ne relève pas du libre arbitre ou du penchant alors je ne peux faire autrement et on doit donc l’accepter. Le désavantage à moyen terme est bien sûr qu’en naturalisant ainsi la sexualité, on peut la ramener au pathologique et on peut aussi justifier l’inverse de ce qu’on souhaite.

L’époque de nos identités
Le féminisme actuel dans sa forme commune n’est plus un mouvement de résistance. La résistance est d’abord une remise en cause des critères de jugement, des normes de l’exactitude pour faire émerger une autre idée de la véracité. Or, le féminisme reprend les critères les plus courants, ceux fixant un pourcentage normatif. On peut même penser qu’en procédant de la sorte, il perd d’avance la voix discordante qu’il essaye de faire émerger parce qu’il se soumet toujours déjà à une norme. En ce sens, le féminisme ne procède pas de façon très différente de l’ensemble des mouvements actuels identitaires. À chaque fois c’est la même chose: la croyance en une identité formant un “on” homogène, le bruissement de la grégarité. Comme celle-ci fixe l’identité, il est malaisé en retour d’en remettre en cause les fondements car on en est exclu d’avance. Si l’on remet une certaine idée de la féminité, on nous répond: “Oui mais toi tu es un homme”. Le propre des discours identitaires c’est qu’ils sont conjuratoires et font advenir, dans le cas du féminisme, exactement ce qu’ils voudraient combattre, un antagonisme primaire entre les hommes et les femmes. En ne brouillant pas les identités, ils s’y soumettent, ils s’y livrent bel et bien.
Notre époque semble aimer les discours identitaires particulièrement quand leur fondement implicite est naturaliste et génétique. On pourrait y voir comme la préparation de terrain à une radicalisation génétique sous la forme des bio-technologies qui permettent de concilier génétique et culture en rendant modifiable la première tout en en gardant la solidité normative.


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