Magazine Culture

Battling le ténébreux, chronique du lumineux Vialatte

Publié le 16 mai 2007 par Sammy Fisher Jr
Vialatte est un grand écrivain, qu'on se le dise. Je terminais la chronique consacrée à la Demeure du chaos en vous sommant de lire son Battling le ténébreux, et c'est un conseil avisé que je vous suggère de suivre. D'une manière générale, vous pouvez lire n'importe quoi de Vialatte, ce n'est jamais du temps perdu. C'est une activité hautement enrichissante, sur le plan littéraire s'entend. Humain pour tout dire. Et dépêchez vous de le faire, car il est de moins en moins méconnu, ce qui fera bientôt complétement perdre le charme snob de lire un génie incompris.
Je vous expliquerai un de ces jours avec vigueur et enthousiasme pourquoi vous devez absolument faire l'acquisition par tous moyens à votre convenance (achat, emprunt définitif à un ami, vol, station prolongée dans une bibliothéque) de ses Chroniques de La Montagne. Ce sera grand et magnifique. Mais, ainsi que je l'ai déjà exposé ici même, je ne m'en sens pas le courage. Cela dit, vous pourriez tout simplement me faire confiance et investir la somme folle que cela représente (10 paquets de 20 cigarettes à 5 euros) juste parce que c'est moi qui le dit. Bon d'accord, je rêve.
Battling le ténébreux, chronique du lumineux Vialatte
Mais je me cantonne aujourd'hui à Battling le ténébreux ou la mue périlleuse ; après tout, quelle meilleure entrée en matière pour découvrir un écrivain que de parler de son premier livre ? Et c'est le premier livre d'un jeune homme de 27 ans, qui pose un regard tendre et acidulé sur la vie. Il n'en changera jamais. Peut-être deviendra t-il plus désabusé avec l'âge, peut-être l'absurdité du monde renforcera t-elle son côté décalé et rêveur, mais l'essentiel est déjà là.
Il avait une petite barbe poivre et sel, un sourire gai et des yeux tristes, une femme insignifiante et féconde, des enfants qui foisonnaient dans son jardin et une connaissance des hommes si parfaite qu'il en était au désespoir.
Battling, c’est l’histoire d'un adolescent mal dans sa peau, tourmenté et angoissé, qui ne réussira pas la mue périlleuse dont il est question dès le titre ; c'est une histoire simple et tragique, l’histoire somme toute ordinaire d’un désespoir menant au suicide, un fait divers de cinq lignes. Battling, c’est l'albatros que son âme hypertrophique empêche d’aimer, l'écorché vif qui tente de se persuader qu'il n'aime personne pour mieux oublier qu'il ne s'aime pas lui-même. C'est l’histoire toujours renouvelée de la découverte de l’amour et de ses cruelles désillusion, de l'amitié comme seul repère solide, facteur de liens indéfectibles et d’une compétition implicite, ou vécue comme telle. L'histoire du passage à l'âge d'homme et l'explication du regard que les adolescents portent sur les adultes, où se mélangent mépris et d’admiration, cruauté et envie.
Battling le ténébreux, chronique du lumineux Vialatte
Mais c'est aussi l’évocation empreinte de nostalgie de la jeunesse de l’auteur, dans l’immédiat après-guerre, celle que préférait Brassens, celle de quatorz'-dix-huit ; évocation donnant lieu à une galerie de portraits vitriolée et à une étude de mœurs cynique. C’est également l’établissement d’un réseau de concordances entre l’auteur et son texte : les trois personnages principaux du récit (Battling, Ferraci et le narrateur), leur amitié et la mort de l’un d’eux rappellent de façon assez symétrique l'histoire de Vialatte, entre son frère et Paul Pourrat, dont la mort fait l'objet d'un prologue révélateur.
Finalement, la mue périlleuse dont il question dans le sous-titre pourrait être celle de l'écrivain Vialatte, quittant encore presque adolescent son Livradois natal, partant pour la Rhénanie, en revenant avec ce roman et ses premières traductions de son alter-ego pragois, Kafka, et de sa nouvelle la plus connue : La métamorphose. Titre prémonitoire et métaphorique ! La mue après la métamorphose ! Il y aurait beaucoup à dire sur les points communs entre ces deux humoristes, partageant le même goût de l’humour sombre et pessimiste. Vialatte est plus joyeux, Kafka plus désespéré, mais ils se retrouvent derrière le même sourire hésitant entre l'humour et le tragique.
Je reviendrai peut-être là dessus un de ces jours.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
***
Sites :
Les illustrations proviennent d'Amazon ; j'aurais pu les scanner moi-même, mais bon.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sammy Fisher Jr 135 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazine