Il y a trois ans, nous avions eu une exposition d’expositions, avec une quinzaine de commissaires, sélectionnés un peu vite peut-être, présentant leurs poulains de manière plus ou moins cohérente. C’était touffu (trop), disparate (trop), souvent thématique et diablement compétitif. Cette année, on a l’inverse absolu : une trentaine de stands, un choix sans thèmes fait par trois commissaires, une sélection hyper-rigoureuse sur des critères inconnus (qualité + notoriété + une petite dose d’aventure ?). Alors on se dit, tiens dommage qu’untel ne soit pas ici (dommage qu’il n’y ait pas assez de femmes, protestent certaines - c’est vrai -, ou comme le dit cette commentatrice candide et ironique : “Et combien d’homosexuels parmi les artistes ? Deux Arabes seulement, un seul Juif, aucun Noir ! Pas un seul artiste membre du Front National ! Tant de scandales à dénoncer ! ” - j’espère qu’elle est ironique). Il y a trois ans, on faisait allègrement des palmarès, des statistiques, il y avait matière. Cette année, on aime untel et pas untel, et on se demande si c’est la bonne échelle de représentativité. Après une force de l’art brouillonne et prolixe, nous avons une force de l’art élitiste et éthérée (jusqu’au 1er juin); Astérix ou Jules César, Rabelais ou Malherbe, choisissez l’analogie qui vous convient.



Il y a ici des maisons qu’on casse (Stéphane Calais), qu’on coupe (Grout / Mazéas), qu’on déconstruit (Guillaume Leblon), quelques tableaux un peu perdus au milieu de cette agitation, un peu de pathos larmoyant (Pascal Convert et la lamentation), quelques réutilisations musicales (Nicolas Fenouillat) ou cinématographiques (Cannelle Tanc et Frédéric Vincent) pas très abouties, de quoi vous dégouter à jamais de la lecture de la Recherche du Temps Perdu (Véronique Aubouy; Rebecca Bournigault ou Jérémie Bennequin, sur ce même livre, sont tellement plus pertinents), des poubelles fondues à l’image de notre société (Anita Molinero), du bla-bla historico-scientifique (Mircea Cantor), un kebab de photos (Wang Du) et même des photos de charme (Butz & Fouque, dont je ne peux pas imaginer que le pseudo soit innocent, une fois transposé en anglais). Bon, passons à ce que j’ai aimé, dans ce menu disparate.


Le film de James Coleman, ‘Ligne de foi’, produit la même complexité. Reconstitution historique de la bataille de Manassas, il s’affiche comme un ‘re-enactment’, où le présent ne cesse de faire irruption dans ce pseudo-passé, dans ce retour en arrière vers l’histoire : le film en train de se faire entremêle figurants en costume et techniciens du tournage, créant une perturbation historique constante. De plus la technique de projection interdit un point de vue idéal : trop près, on ne voit que des pixels indistincts incapables de former une image compréhensible, trop loin, dans cet éclairage sommital, on doit plisser les yeux pour voir la scène, et aucune photo ne peut rendre compte de cette image. L’histoire ne se construit pas objectivement, nous dit-il, il n’y a pas d’observateur neutre et idéal.


Mémoire plus ancienne, celle du ptérodactyle qui, il y a 140 millions d’années, glissa dans la boue et laissa l’empreinte de ses trois griffes dans un terrain fangeux du Massif Central. Cette gigantesque empreinte minimaliste à la Fontana, trônant à six mètres au dessus de la masse, domine toute l’exposition, comme un pied de nez au modernisme, post- ou alter-. C’est de Virginie Yassef , Il y a 140 millions d’années, un animal glisse sur une pente fangeuse du Massif Central en est le titre superbement explicatif.



Photo Virginie Yassef courtoisie de La Force de l’Art; autres photos de l’auteur. Michel Blazy, Alain Bublex, Jean-Baptiste Ganne, Didier Marcel et Bruno Peinado étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront retirées du blog à la fin de l’exposition.