C'est l'éternel débat depuis plus de 20 ans. Un blanc peut-il faire du rap sérieusement ? Tous les dix ans, la question refait surface, s'appropriant en passant les considérations politiques et sociales du moment.
En 1989, c'est Vanilla Ice et son "Ice Ice Baby" qui fait sensation. Il n'est pas le premier rappeur blanc de l'histoire à vendre des disques à la tonne, les Beastie Boys sont passés par là avant lui mais il est le premier à cristalliser le débat. Les arguments avérés du lynchage dont il va faire l'objet (dont l'emblème reste le "Pop Goes The Weasel" du groupe 3RD BASS) sont que le blondinet se prend pour un noir, a la rime cheap et un son Top 50, dénaturant une culture aux codes très définies mais encore en devenir. Mais ça, c'est ce qu'on dit devant les caméras. Car, 1989, c'est aussi la sortie au cinéma de DO THE RIGHT THING de Spike Lee et l'apogée de la gloire de Public Enemy. Autant dire que la contestation et les revendications noires sont au centre des débats, pour le coup, assez virulents (N'oublions pas que l'on est deux ans avant les émeutes raciales de Los Angeles !).
Dans ce contexte, le succès d'un rappeur blanc aussi peu crédible peut être vite perçu comme l'intrusion inopinée d'une bande de redneck dans une master-class de Spike Lee ! Car il faut bien s'imaginer l'essentiel du public de Vanilla Ice : il est blanc et issu de l'Amérique profonde, soit en gros le présupposé de "raciste" pour la grande majorité de l'Amérique noire. Comprenez donc là-dedans que Robert Van Winkle (son vrai nom) a fait de son simple et inoffensif tube pop une provocation mal-vécue...
Dix ans plus tard, aucun rappeur blanc n'a osé pointé le bout de son nez, sûrement de peur de connaître le sort peu envieux de leur aîné malheureux. Car il faudrait bien une bonne grosse dose de talent et de répartie pour affronter le cruel monde du hip-hop et les stéréotypes qui lui sont inhérents. Celui qui se lancera, vous savez déjà qui il est : Oui, Eminem !
En 1999, son apparition sur la scène médiatique et musicale fait renaître le débat de la légitimité d'un rappeur blanc. Seulement, cette fois, impossible de dire qu'il n'a pas de talent et qu'il se prend pour un noir. L'autre blondinet ne parle en effet que de sa vie "white trash" avec un sens de la rime phénoménal, une la répartie assassine et un flow rarement égalé. Soutenu artistiquement par le pape "noir" du genre, il est difficilement attaquable sur sa légitimité et crédibilité - même si certains ont essayé en faisant valoir des morceaux de jeunesse à consonance raciste par exemple. Bref, le débat a lieu mais a vite été enterré : le hip-hop est devenue une culture bien assez solide pour assimiler des visions et des "couleurs" différentes.
Pourtant, en 2009, il faut bien avouer que le blanc n'est toujours pas une couleur très représentée dans le hip-hop américain, malgré des statistiques accablantes : 70 à 80% des disques de rap sont achetés par des blancs ! Le fantôme de Vanilla Ice rôde toujours mais celui d'Eminem également. Ce dernier est devenu une telle icône pop que tout rappeur blanc est aujourd'hui perçue - souvent à raison - comme une caricature pathétique du rappeur nasillard.
Et dans l'esprit d'un certain grand public (noir ?), le nouveau venu Asher Roth ne fait pas vraiment exception. Sauf que les deux ne pourraient pas être plus éloignés. D'abord parce que le flow amorphe de Roth n'a rien de comparable avec le phrasé supersonique de Em'. Ensuite parce que Roth est un pur produit de la classe moyenne supérieure US alors qu'Eminem vient tout droit des bas-fonds. Enfin parce que Roth ne parle que de fêtes, de cul et de fumette.
Avec ses beats un peu "old school", ses airs d'étudiant fêtard et ses textes débonnaires, Asher Roth pourrait faire un peu penser aux Beastie Boys première époque (Fight For Your Right (To Party)) en remplaçant l'hystérie punk par les délires pop. Bref, Asher Roth, c'est complètement inoffensif, léger et purement fun. Il suffit d'écouter le single I Love College pour s'en laisser convaincre très facilement : ce groove est imparable malgré des paroles légèrement abscons! Ce qui est bien la seule chose qu'on puisse lui reprocher : les lendemains de fête, les beuveries d'étudiants attardés, c'est sympa un moment mais très vite lassant...
Pour l'instant, avec une campagne marketing parfaitement huilée, le soutien de plusieurs rappeurs influents (Kanye West, Rick Ross, Busta Rhymes etc.) et un multi-culturalisme à la mode (merci qui ? merci Obama !), Asher Roth est donc presque assuré de vendre ce qu'il faut de son premier album, Asleep in the Bread Aisle - pas forcément pour les bonnes raisons mais est-ce que ça compte...
Asher Roth est de toute façon un pur produit de son époque, comme l'ont été avant lui Vanilla Ice et Eminem : Le buzz Internet a juste comblé les quelques lacunes de talent et le marketing se chargera du reste... Quant au temps, il reste le dernier capable de nous dire l'avenir de ce jeune homme...
MySpace de Asher Roth