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Les Deux Républiques Françaises

Par Copeau @Contrepoints
Les Deux Républiques Françaises Dans les Deux Républiques Françaises, Philippe Nemo défend la thèse de l'existence continue en France, depuis la Révolution, de deux courants qui s'opposent et qui se disputent la légitimité de l'appellation « républicain » ainsi que la légitimité de l'héritage de la Révolution. Le premier, qu'il appelle « 1789 », correspond à ceux qui sont restés attachés au contenu de la Déclaration Des Droits De L'Homme Et Du Citoyen de 1789 et au respect de l'expression du suffrage du peuple. Le second, qu'il intitule « 1793 », héritière du Jacobinisme, est dirigiste, ne rechigne pas à l'usage de la force, ne respecte guère le vote populaire, et use volontiers des organes de l'Etat pour imposer un vision unique de sa mission, mais aussi pour promouvoir une espèce de religion millénariste sans dieu, le laïcisme.

Pour démontrer et illustrer son propos, l'auteur analyse une série d'éléments clés de l'identité Française contemporaine, en comparant pour chacun d'entre eux les attitudes prises par ceux qui se rapprochent de « 1789 » et de ceux qui se rapprochent de « 1793 ». Ces éléments sont : le respect de la démocratie, les fondations de la République, la laïcité à laquelle il rattache la question de l'enseignement, l'affaire Dreyfus, l'occupation Allemande pendant la IIème Guerre Mondiale et enfin l'accaparement du terme « républicain » par la gauche.

Dans ce contexte, l'histoire de France se trouve mal enseignée aux enfants, dans un but de perpétuations d'un certain crédo dit républicain, qui tait le rôle positif joué par bien des acteurs de l'histoire et qui donne une image exagérément embellie d'un certain nombre de personnages présentés comme exemplaires. Nemo, avec cet ouvrage, exprime clairement le désir d'amorcer une inflexion afin qu'un rééquilibrage devienne un jour possible.

Le poids de 1793

En premier lieu, le premier mythe : que « 1793 » serait démocrate. En fait, depuis sa première incarnation en la personne des Jacobins, elle n'a eu de cesse que de remettre en cause le verdict du suffrage du peuple, par le biais d'artifices aussi innombrables que divers tels l'élimination de candidats gênants, la prise de contrôle déloyale des assemblées, mais aussi la violence et l'émeute, justifiées sans honte par des historiens tels Lissagaray. La force populaire, le peuple, sont alors présentés comme un personnage héroïque à qui tout est permis, alors même qu'on nie l'expression de son vote.

La charbonnerie, les sociétés secrètes de la Restauration, l'affreux Auguste Blanqui qui avait l'habitude d'appeler au meurtre de son propre frère Adolphe, les « rouges » des journées de juin 1848, la Commune qui s'élève pour renverser un gouvernement légitimement élu, les exemples soigneusement décrits abondent, jusqu'aux innombrables blocages se faisant passer pour des grèves, dont nous sommes encore quotidiennement les témoins.

Dans cette lutte, « 1793 » a clairement pris le dessus en arrivant à contrôler des pans entiers de la vie politique et syndicale Française. Sa force découle d'un discours millénariste, c'est à dire de la promesse d'un âge d'or sur terre grâce l'action d'une catégorie d'hommes à la sagesse presqu'infaillible, se présentant comme des sauveurs.

Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République. Au moment de sa création, la IIIème république est l'œuvre de « monarchistes, anciens orléanistes, anciens partisans de l'empire libéral », d'une part des républicains « récusant formellement 1793 ». Avant cela, une lignée de penseurs prolonge et enrichit le projet de « 1789 » aspirant à une constitution qui « interdise à l'Etat de transgresser les libertés publiques essentielles », tels Guizot, Say, et surtout Constant.

Il est à noter tout de même que c'est sous la IIIème République que s'enclenche le processus de redistribution des richesses par l'Etat, sous la forme d'une « intervention limitée de l'Etat dans le domaine social et la perception par l'Etat de ressources fiscales permettant cette intervention ».

1793 et le laïcisme

Troisième point, troisième mythe, et le pilier central qui porte le livre, « 1793 » se prétend laïque. De fait il ne s'agit en rien de laïcité, c'est-à-dire la non implication du pouvoir dans les affaires de la foi, mais d'une guerre sans pitié pour l'élimination, et à défaut la mise sous contrôle totale, des religions. Bien sûr, le point de départ est une situation où Taine, enseignant, n'ose pas faire lire à sa classe L'Ecole Des Femmes du fait de la pression de l'église, et cette dérive elle-même ne peut être tolérée. Mais une fois cela admis, on ne peut pour autant justifier un anticléricalisme, et même un antichristianisme, intolérant et jusqu'au boutiste.

Un inspirateur important de l'anticléricalisme fanatique est Edgar Quinet, qui considère le catholicisme comme rigoureusement incompatible avec la liberté et comme « un danger… le ciment de tout ce qui reste de servitude sur terre ». Pour lui, il faut interdire l'enseignement du catholicisme en employant l'arme absolue, le monopole scolaire, mais il faut aussi rendre le culte chrétien « matériellement impossible ». Et cela ne peut se faire en respectant les droits de l'homme et la liberté : « le despotisme religieux ne peut extirpé sans qu'on sorte de la légalité ». Quinet est aussi un haut gradé du Grand Orient de France. La Franc Maçonnerie jouera un rôle essentiel dans ce combat, en particulier en recrutant nombre d'instituteurs.

La religion est perçue comme une concurrente du pouvoir. Dès lors il faut imposer « la religion de la Révolution française ». De telles idées entraineront logiquement des persécutions antichrétiennes. La loi Ferry de 1879 revient à tuer dans l'œuf les universités catholiques. Les Jésuites sont dissous, les autres congrégations « non autorisées ». La loi de gratuité de l'école laïque signifie que qui veut confier ses enfants à une autre éducation doit payer deux fois. Une génération de protestants libéraux tels Halévy joueront un rôle majeur dans l'éclosion des Hussards noirs de la République, mettant ainsi en place les conditions de la prise de contrôle de l'éducation par ce nouveau corps devenu puissant.

Ce sera ensuite la Franc Maçonnerie qui réalisera ce potentiel de contrôle. Tout comme Quinet, un grand nombre de membres du Bloc des Gauches en fait partie. En 1910, les enseignants qui ne sont pas maçons sont du moins en relation étroite avec la Ligue de l'Enseignement, véritable filiale de l'ordre. Léon Bourgeois dira, « l'éducation nationale a pour fin dernière de créer [l'] unité des esprits et des consciences » ; le président Lafferre, au convent du Grand Orient : « par-dessus les gouvernements qui passent, la Maçonnerie, bras armé de la République, demeure ». Le secret maçonnique permettra de plus de donner l'apparence de nombreuses voix diverses et convergentes recommandant les mêmes réformes.

Une fois ces bases posées, tout sera en place pour que l'instruction publique, devenue éducation nationale, devienne la chose de syndicats politisés ne répondant plus qu'à eux même, avec l'intention déclarée de ne même plus avoir de compte à rendre à l'Etat, pour aboutir enfin à l'adoption du plan Langevin Wallon avec les réformes Berthouin de 1959 et Fouchet de 1963, sans que le projet et les fins de l'école unique n'ait jamais été clairement présenté à la population. « Voilà comment les minorités mènent le monde ».

Le 1793 des Dreyfusards

Le quatrième mythe mis à jour de façon convaincante par Philippe Nemo est que la France de 1793 aurait été dans le camp Dreyfusard à l'occasion de l'affaire Dreyfus. De fait, à l'aide de très nombreux exemples, l'auteur défend la thèse qu'il y a, en fait, eu deux époques dans cette affaire. Durant la première, « 1793 » a été très clairement anti dreyfusarde. La deuxième, déclenchée de façon spectaculaire par l'agression à coup de canne par du Président Loubet par le Baron Christiani en juin 1899 verra un renversement du tout au tout de cette position.

De la première époque, Léon Blum, contemporain de l'affaire, dira « je puis affirmer, sans forcer en rien la vérité, que ceux qui devaient, un peu plus tard, former la base du « Bloc des gauches » étaient alors en grande majorité hostiles à la révision [du procès contre Dreyfus] ». En ces années de l'après 1870, en plus d'être anticapitalistes et antibourgeois nombreux sont en effet les gens de gauche qui sont aussi anti étrangers. Par extension, ceux qui sont antisémites ne sont pas rares, sans toutefois aller tous jusqu'à l'extrême de Proudhon qui propose d'exterminer les juifs. Les exemples abondent. On se contentera de citer le grand Jaurès : « la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par un sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas celle du prophétisme ».

Ce n'est que suite au coup d'éclat de Christiani, un aristocrate qui attaque un élu, que la gauche changera de camps, et n'aura alors de cesse que de faire croire qu'il n'en est rien, qu'elle avait toujours été dreyfusarde. Cinquième mythe et le plus proche de nous , la sombre période de l'occupation allemande, pour laquelle « 1793 » prétend que ce sont ses adversaires qui ont été Nazis. En fait, beaucoup des noms célèbres de la collaboration sont socialistes ou anciens socialistes, voire gauchistes et communistes. Ainsi Déat, Guilbaud, Luchaire, Tissot et Darnand qui, dans une longue lettre de septembre 1943, écrivent à de hautes personnalités allemandes à Paris et Berlin leur souhait de construire avec eux partout en Europe une politique « réellement socialiste et révolutionnaire ». Pour eux, Hitler a vaincu le capitalisme tant détesté.

A la libération et dans la période qui l'a suivie, on n'aura de cesse de dissimuler cet état de fait, et fabriquera l'image de la gauche et du communisme inflexibles résistants de toujours.

Et enfin le sixième mythe sans cesse alimenté par la gauche dans la discussion nationale : qu'il n'y a de républicains qu'en son sein. Comme pour les cinq premiers, Nemo démonte méticuleusement cette assertion à l'aide d'exemples multiples, même s'il est de toutes façons permis de douter de l'importance du terme républicain dans la bonne marche de la démocratie libérale, celle-ci fonctionnant pour le moins aussi bien dans les monarchies constitutionnelles que dans les républiques.

Comme conclusion du livre, Nemo nous livre une analyse aussi juste que déprimante de la situation de la France d'aujourd'hui, où une religion inavouée de type millénariste à trouvé en le monopole de l'éducation nationale l'église par laquelle elle peut s'assurer que l'ensemble de la population est copieusement exposée à sa doctrine. Sur l'éducation il résume : « le système , bien que nominalement public et fonctionnant de facto avec l'argent des citoyens contribuables , est une entreprise privée qui s'autogère. Il est dirigé par les seuls chefs de l'Eglise de la Gauche, francs maçons et syndicalistes, qui considèrent le peuple comme privé de voix délibérative, puisqu'il n'est pas initié et ne peut délibérer valablement de l'avenir qu'ils lui préparent – le « Temple » ou le socialisme. »

Retrouver la pertinence de 1789

Par sa rigueur, par son infatigable énergie à revenir sur les vérités acceptées par presque tous et qui pourtant n'ont pas grand-chose de vrai, par la liste interminable d'exemples tous plus parlant les uns que les autres, qui nous font nous immerger dans les contextes et les épisodes décrits, par ses révélations sur certains des personnages considérés comme sacrés de l'histoire de France, Nemo nous propose une critique au plus haut point convaincante et dévastatrice de l'édifice révolutionnaire jacobin qu'il appelle « 1793 » et de ses retombées contemporaines. Pour cette raison, ce livre devrait être lu par le plus grand nombre, et relu pour bien en saisir le contenu après la réalisation plus viscérale de l'étendue des dégâts telle qu' obtenue en première lecture.

Sa défense de la France libérale démocratique dite « 1789 », que semble promettre le titre de l'ouvrage, est, elle, en fait, moins fournie. Elle apparait plus comme l'image lumineuse mais vague de ce qu'il y a de bien face à l'autre composante de l'alternative, une image que Nemo nous demande d'accepter sans en discuter abondamment le contenu. Il y aurait donc un peut-être un autre ouvrage critique à écrire sur cet héritage là, en abordant des questions que le livre ne fait que frôler, telles par exemple :

Comment défendre le principe même de révolution puisqu'il porte en lui le risque chaotique, que son potentiel de troubles est incontrôlable et que son résultat final ne peut être maitrisé si l'on s'en tient à des principes libéraux ?

Ou encore, les libéraux qui ont posé les bases de l'éducation nationale, et même du monopole de celle-ci, par anticléricalisme « rationnel », ne se sont-ils pas par la même donné le bâton pour se faire battre, puisque leur créature a pu si facilement ne plus répondre qu'à elle-même et leur infliger une défaite dont aujourd'hui encore ils ne semblent pas prêts de se remettre ?

Enfin, même si le modèle républicain jacobin français prouve particulièrement bien en ces temps troublés, de blocages d'universités en séquestration de patrons, d'endettement public catastrophique en étouffante pression fiscale, qu'il est une impasse et porte en soi des risques de troubles graves, néanmoins les démocraties libérales non entachées de jacobinisme, présentée par Nemo comme un contre exemple à suivre, échappent-elles à une lente mais dommageable dérive, via les problèmes de « public choice » et les effets cliquets sur la dépense publique, et pour nombres d'entre elles, ne se retrouvent-elles pas aujourd'hui plongées dans des problèmes presqu'aussi insurmontables que les nôtres ?

S'il veut retrouver une pertinence, « 1789 » doit chercher des réponses au grand défi qui lui fait face : comment limiter les prérogatives que l'Etat n'a de cesse de s'arroger ; comment éviter que le suffrage universel ne continue de donner cette dangereuse illusion que les domaines légitimes d'intervention du pouvoir sont eux aussi universels ?


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Philippe Nemo, Les Deux Républiques Françaises, éditions PUF, 2008.

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