Magazine Culture
Après avoir passé la semaine à taper sur tout le monde, et avant que je ne devienne moi aussi une cible à force de donner des leçons à droite et à gauche, passons un samedi nostalgique ensemble.
L'année dernière, une étude américaine prédisait que le Noël 2008 serait le dernier Noël pendant lequel on offrirait des CDs. Le dernier Noël avec des disques ? Incroyable, non ? Qui aurait pu penser un jour que ça se terminerait comme ça ? Mis à part pour les fans de musique, le disque c'était quand même le cadeau idéal : on ne sait pas quoi acheter au neveu ? Allez, une compile "dance hit radio party vol12" et on en parle plus. Un cadeau pour Tante Janine ? Un Best-of des plus belles reprises de Michel Sardou par Yves Duteil et hop, le tour est joué.
Bref, pas besoin de se casser la tête, ça marchait à tous les coups.
Ensuite, il y a les vrais fans de musique, ceux pour qui le disque a représenté quelque chose d'important, là où l'objet est indissociable de la musique parce qu'il a accompagné des moments de leur vie, de l'adolescence en particulier : les pochettes qui ont toutes une histoire, l'endroit où on l'a acheté, le moment, avec qui on était, etc etc...
Il y a mille histoires à raconter autour de chaque album qu'on a ramené un jour d'un magasin. Donc, aujourd'hui, avec le Mp3 c'est une partie de l'histoire de chacun qui va s'écrire autrement, puisque ces moments qui accompagnaient l'objet ont disparu.
Chacun avait sa façon d'aimer les disques, et de les consommer. Il y avait ceux qui n'achetaient que des singles (ou des 45tours avant), ceux qui n'achetaient que des cassettes, les fous des vinyles, les collectionneurs de CD, ceux qui les classaient par ordre alphabétique, par périodes, par genres.
Pour ma part, adolescent j'aimais les groupes et les artistes qui faisaient des vrais albums, j'aimais suivre leur discographie, j'achetais les disques, je n'écoutais pas la radio qui ne passait que du top50 et je n'avais aucun intérêt pour les singles, de temps en temps des bons Maxi 45 ou des Ep. J'ai acheté énormément de vinyles et puis encore plus de CD.
Aujourd'hui, tous mes CDs sont dans des cartons, formant des murs dans ma cave, tous digitalisés sur des disques durs, par contre, les vinyles sont là, comme des livres dans une bibliothèque, car comme des livres, ils ont une histoire et on peut les regarder, même sans les écouter, ils racontent tous quelque chose.
Aujourd'hui grâce au net, on a tout ce qu'on veut en un clic pour chaque groupe, de la discographie complète aux clips, aux photos, jusqu'à la biographie détaillée. Ce matin, même si je ne connais pas Elton John, 1h plus tard je pourrai même vous dire en quelle année il s'est cassé un ongle. Plus aucune place n'est possible pour l'imagination quand un disque te tombe entre les mains, et ça permet aux chroniqueurs musicaux d'écrire leurs articles (ah, merde! J'ai dis que j'arretais ! )
Avant, tu n'avais rien, tu récupérais un disque par hasard chez quelqu'un, ou dans un bac parce que le nom te disait quelque chose ou parce que tu aimais la pochette, et là tout ce que tu avais à faire c'était te concentrer sur tous les détails du disque pour en savoir un peu sur le groupe, ça allait des artistes qu'ils remerciaient dans les crédits (qui te renseignaient un peu sur la mouvance à laquelle ils appartenaient), aux photos, aux diverses annotations ou aux références dans les paroles, bref tout était important parce que les informations étaient infimes. C'était un vrai jeu de piste pour rassembler des infos sur un groupe, trouver d'autres fans et connaître ce que tu écoutais. Aujourd'hui c'est plus simple et peut-être que c'est aussi pour ça qu'on s'attache moins à ce qu'on écoute.
Qu'est ce qu' il me manquera avec la mort du disque ?
Je ne vais pas jouer le Francis "c'était mieux avant" Cabrel, je suis très heureux aujourd'hui d'avoir à portée de main tout ce que je veux sur un groupe, mais l'objet en lui même avait quelques particularités, parfois futiles mais qui faisaient la magie de l'objet.
En tout premier lieu, la pochette. On peut avoir des milliers d'images, de trucs 3D, de clip ou quoi que ce soit sur son écran, tenir une pochette de Vinyle et la scruter dans chaque recoin, c'était quelque chose. Un exemple concret : prenez par exemple, une des meilleures pochettes de metal, en l'occurrence "reign in blood" de Slayer et allez la voir sur itunes avant d'acheter l'album...mmh...ouais...ok...on ne voit rien.
Maintenant, prenez le vinyle dans les mains (comme vous ne l'avez pas, regardez la photo ci- dessous), et là, tout de suite ce n'est pas pareil. Il y a un truc assez dingue quand tu tiens une pochette de 30cm sur 30cm dans les mains. C'est difficile à retrouver comme sensation sur itunes, amazon ou virginmega.
mon pouce flanant chez le disquaire avant.
mon pouce flanant chez le disquaire en 2009.
Apres la pochette, autre truc futile, largement plus répandu sur le CD : la rondelle du disque. Il y avait toujours un truc à voir sur le disque lui même : une illustration, un clin d'oeil à un titre, un logo du groupe qu'on ne connaissait pas. Parfois la rondelle du disque était une deuxième pochette à elle seule. La sérigraphie couleur sur les CD a permis de faire de très beaux objets, à l'instar des pictures disques (ces disques où la pochette était printée directement sur le vinyle) alors qu'au départ le Cd était en lui même très austère.
extrait de la série "weapons" du blog Amoeba
Ensuite, (et là je parle à une frange de psychopathes) si on était vraiment fou, on pouvait s'amuser à regarder sur ses 33t, entre la rondelle du disque et le début des sillons si le groupe n'avait pas gravé un message sur le vinyle (les run out groove signatures). Si, je vous jure, je le faisais.
La première fois que je me suis aperçu de ça, c'était sur l'album "Altar of Madness" de Morbid Angel en 89 :
Sur le disque était gravé "WATCH OUT FOR TERRORIZER" à la main, au départ je n'ai pas compris et quelques temps plus tard sortait un disque d'un groupe, Terrorizer, composé de différents membres de Napalm death et Morbid Angel (CQFD), et peut être que sans ce message gravé sur ce disque, je n'aurais pas prêté immédiatement attention à cet album dans les bacs. J'avais l'impression de faire partie des initiés ! ah ah !Ensuite, à chaque fois que j'achetais un vinyle, je regardais si le groupe avait laissé un message, c'était plutôt rare, et puis petit à petit je me suis concentré sur le CD, j'ai arrêté les vinyles, et puis maintenant j'ai arrêté les CDs.
Effectivement, à la lumière d'internet aujourd'hui, tout ça est dérisoire, nous sommes tellement sur-informés que rien ne peut nous échapper quant à l'actualité d'un groupe, mais il est important de voir qu'à un moment donné, le disque n'était pas qu'un support pour la musique. Il était aussi le seul lien qu'on pouvait avoir avec un groupe, et la seule manière pour un fan d'être en relation avec l'univers du groupe. Surtout quand à cette époque les musiques dites "alternatives" n'avaient aucune chance d'être en télé, en radio, ou dans les journaux.
La technologie nous permet de vivre 24/24h avec notre groupe préféré maintenant (l'application NIN pour le iPhone a encore franchi une étape dans ce sens) que ce soit pour sa musique ou tout ce qui l'entoure. Le mystère n'existe plus et la mort du disque représente bien plus que la mort d'un support physique, mais aussi la fin de toute une époque dans la façon de consommer la musique. On passe rarement son temps aujourd'hui à écouter un disque en entier en regardant la pochette. La musique est là, et en même temps on est sur le net, on joue à un jeu, on lit un magazine, on coupe un titre pour regarder une vidéo que quelqu'un nous a envoyé, on change de playlist, on met son itunes en shuffle, etc etc...
On ne sacralise plus l'objet et ce qu'il contient comme avant, c'est un fait, donc encore une fois, il est difficile de concevoir que les maisons de disques soient encore attachées à ce principe de consommation tant il parait archaïque aujourd'hui...je dis ça et pourtant sans le disque, je n'en serais pas là.