Ce roman très
célèbre raconte, à la première personne, l'histoire mélodramatique - mais sans pathos - d'une orpheline nommée Jane Eyre. Ses parents étant morts alors qu'elle était un bébé, elle a été
recueillie par un oncle maternel dans son domaine de Gateshead. Mais Mr Reed, qui entendait l'élever et l'aimer comme sa propre fille, est mort à son tour peu de temps après, et sa veuve, une
femme hautaine et mesquine, a eu vite fait d'oublier le voeu du défunt. Mal aimée par sa tante, méprisée par ses cousines, rudoyée par son cousin, Jane Eyre grandit ainsi, privée d'affection. La
seule personne qui se soucie tant soit peu d'elle est une domestique du nom de Bessie Lee... Un jour, alors que son cousin John, un adolescent gâté et tyrannique, s'en prend à elle violemment,
Jane ose pour la première fois se rebeller. Ce geste déclenche les foudres de la maisonnée tout entière... Jane est battue, sermonnée, et enfermée à double tour dans la "chambre rouge", une pièce
sinistre où, croyant voir le fantôme de feu son oncle, elle est prise de panique et s'évanouit... Finalement, Mrs Reed, excédée par sa présence, décide de la placer dans une institution
charitable. La fillette, âgée de dix ans, quitte avec soulagement la maison inhospitalière dans laquelle elle a grandi.
L'école de Lowood, où elle entre comme pensionnaire, est un établissement destiné aux filles de pasteurs sans fortune qui se destinent à travailler comme gouvernantes ou institutrices. Elle est
administrée par Mr Brocklehurst, un homme d'Eglise rigide et implacable, qui gère avec parcimonie les dons des bienfaiteurs de Lowood et n'intervient dans le fonctionnement de l'école que pour
punir les élèves, restreindre les conditions de vie déjà drastiques, et haranguer les maîtresses. Charlotte Brontë souligne avec une ironie amère son souci acharné de faire appliquer la morale
biblique dans toute sa dureté, lorsqu'il s'agit d'êtres pauvres, dépendants et vulnérables... Pharisianisme oblige, Mr Brocklehurst, son épouse et leurs enfants sont, dans le même temps,
dispensés de devoir faire leur salut par l'étroite voie de l'abnégation : ils vivent dans le luxe, et pratiquent la charité avec ostentation et condescendance.
A Lowood, Jane va cependant apprendre avec ardeur, progresser dans ses études, s'intégrer parmi ses camarades, et nouer des affections profondes. Une élève du nom d'Helen Burns, de quelques
années plus âgée, lui inspire une vive amitié et une profonde estime; elle éprouve de la vénération vis-à-vis de la directrice, Miss Temple, une femme droite et bonne. Mais Helen, atteinte de consomption, se meurt peu à peu, tandis qu'une épidémie de typhus se déclare dans le pensionnat... L'insalubrité des lieux, aggravée par la nourriture
insuffisante, seront mises en cause publiquement, et Mr Brocklehurst sera contraint de s'entourer de co-administrateurs avisés. Ainsi, Jane Eyre, épargnée par la maladie, continue-t-elle ses
études dans de meilleures conditions, avant d'enseigner elle-même, dès l'âge de seize ans, sous la bienveillante autorité de Miss Temple.
Lorsque celle-ci quitte Lowood pour se marier, Jane ressent avec acuité sa solitude et l'étroitesse de son existence. Elle décide alors de poster une annonce afin de travailler comme gouvernante.
Une brave dame, Mrs Fairfax, intendante du domaine de Thornfield, l'engage pour s'occuper d'Adèle, une petite Française recueillie par le propriétaire des lieux, un certain Mr Rochester. Celui-ci
étant fréquemment absent, Jane mène une vie paisible aux côtés d'Adèle et de Mrs Fairfax durant de longs mois. Seul, le comportement inquiétant de Grace Poole, une servante de la maisonnée, lui
donne à penser que la demeure de Thornfield abrite quelques secrets. Quels sont ces cris étranges, ces rires démoniaques que Jane entend parfois résonner sous les combles ? Lorsque Mr Rochester
revient soudain de ses voyages pour s'établir dans son domaine durant quelques semaines, Jane ne tarde pas à s'éprendre de ce personnage fantasque, énigmatique et ténébreux. Celui-ci, qui la
prend pour confidente, montre un comportement ambivalent vis-à-vis d'elle, lui témoignant tantôt de la tendresse, tantôt de la froideur. Surtout, il affiche une admiration marquée pour une
femme de son rang, la riche, belle et hautaine Miss Ingram... Le lecteur, lui, devine aisément que la préférence secrète de Rochester est pour Jane, mais s'interroge sur les raisons
de son attitude. et se demande avec angoisse quel est l'être malfaisant qui sévit à Thornfield ! Lorsqu'un incendie se déclare dans la chambre de Mr Rochester, Jane le sauve en éteignant les
flammes, mais ne comprend pas le refus de son employeur de livrer Grace Poole à la police, si elle est bien coupable de ce méfait. Mais peut-être l'homme qu'elle aime avec vénération ne lui
a-t-il pas tout livré de son passé ni de ses tourments...
Un coup de théâtre, survenant au moment le plus malvenu, contraint Rochester à dévoiler une amère vérité à Jane qui, éperdue de chagrin, désespérée, mais décidée à ne pas transiger avec
l'honneur, s'enfuira et tentera de refaire son existence sous un autre nom... Jane et Rochester, après bien des épreuves, seront-ils appelés à connaître le bonheur l'un auprès de l'autre, ou bien
un destin cruel viendra-t-il toujours contrecarrer leurs espérances ?
En résumant cette lecture, j'ai un peu l'impression de faire un récit des "Feux de l'Amour"... Néanmoins, cette histoire, pour mélodramatique qu'elle soit, se situe loin au-dessus d'un
roman-feuilleton à l'intrigue échevelée. Cet ouvrage est aussi remarquable pour le style, l'atmosphère, que pour la modernité de la réflexion (Charlotte était une féministe avant
l'heure !) et la profondeur des analyses psychologiques.
Et si la vie de Jane Eyre est sombre et tourmentée, elle est bien à l'image de celle de son auteur, qui s'en est judicieusement inspirée, tout en faisant la part belle à l'imagination.
Un roman magnifique, que beaucoup de lecteurs préfèrent aux "Hauts de Hurlevent"... Ce n'est pas mon cas, mais j'ai lu et relu Jane Eyre avec beaucoup de plaisir depuis que je l'ai découvert, il
y a une vingtaine d'années (je l'ai même déchiffré en anglais lorsque j'étais étudiante, mais je ne rééditerai pas cet "exploit" !)