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La moribonde a de beaux restes

Par Goliath @Cayla_Jerome

Le village dort comme à son habitude, replié sur lui-même, fermé au monde. Seules les corneilles et les quelques mouettes que l’hiver chasse des rivages troublent le silence de leurs cris. Durant les périodes chaudes de l’été, une chape de plomb tombe comme une sanction sur les habitants, mais ces derniers n’en ont cure, et quelque fût le temps, seuls les travaux des champs les animent.

A Saint-mes-genoux, au sud de la Loire, le monde a fui depuis longtemps vers les villes aux milles attraits ; les lumières, le cinéma et l’anonymat. Le gibier s’en trouvant fort aise, peut désormais proliférer en paix, puisque les chasseurs sont partis, eux aussi. On y parvient par une route de campagne, on en ressort par la même voie, en serrant les fesses avec un frisson qui parcoure le long de l’épine dorsale. Le village semble sortir du rythme du temps, suspendu en un point fixe à jamais immuable.

Ici, lorsqu’on n’est pas aux champs, on reste chez soi.

Le car scolaire rythme les journées depuis que la grande horloge du clocher s’est arrêtée de tourner. Le départ de monsieur le curé a été fatal à l’église qui désormais prend l’eau, noyant les repères de ses ouailles.

Dans le village, sept cents âmes sont pourtant restées pour ne pas laisser les terres en jachère, conserver les biens hérités des ancêtres, cultiver les secrets de famille et, parce qu’on ne s’est même pas posé la question de savoir s’il y avait une autre façon de travailler. Dans le bourg où tout le monde connaît tout de chacun, personne ne se parle plus ; que dire d’autre que le traditionnel « ça va ? », question à laquelle chacun répond toujours par l’affirmative, manière de ne rien dire, façon de fuir un dialogue qui n’enrichirait personne, manière d’éviter de dire ce que l’on cache.

A Saint-mes-genoux il y a aussi un maire, un homme de chez eux, un natif de cette terre que tous travaillent durement. Un rugueux aux mains larges comme des battoirs de lavandière et, à la stature de colosse. Une position qui lui fait voir de haut la petitesse de son monde. Une altitude qui lui fait comprendre que peut-être il est encore une chance, pour que s’anime de nouveau le reste d’humanité qui se cache ci et là chez ses administrés. S’il ne fait rien, monsieur le maire a le sentiment que sa commune va se recroqueviller sur elle-même jusqu’à disparaître de la surface de la terre ; un trou noir dans lequel tous tomberont sans espoir de rémission.

Alors il cherche et, imagine de faire une foire aux livres…

Ce sera cherche-t-il à convaincre ses conseillers municipaux, une fête où les écrivains viendront présenter leurs ouvrages, avec qui les habitant de Saint-mes-genoux pourront parler de ce qu’ils achèteront ; ce sera formidable ! On peut aussi faire un repas champêtre sur la grand place, il y a si longtemps qu’elle ne sert plus à rien, si ce n’est comme parking pour les remorques des tracteurs. Monsieur le maire est convaincant, les conseillers voient déjà rire une foule chamarrée dans le bourg, dont les vives couleurs brillent déjà dans les yeux des représentants de la ville ; le projet est adopté rapidement.

Sortant d’une longue torpeur, mus d’un objectif commun, tous s’attellent à la tâche ; qui de se charger de la publicité, qui de contacter des associations d’auteurs, prévenir des éditeurs, régler les problèmes de sécurité, de logistique ; bref, le village se réveille d’un long sommeil. Il y a bien quelques personnes qui râlent un peu, ne voyant pas d’intérêt pour une telle activité, puis quoi faire des livres une fois lus ?

Monsieur le maire a là une réponse toute trouvée ; on ouvrira une bibliothèque.

Le jour du salon, les portes des étables ont été réquisitionnées pour faire des tables sur lesquelles des draps blancs feront office de nappe, une vaisselle hétéroclite arrive de chaque maison. Les hommes font tourner un mouton sur une grosse broche et, le grand Gontran a sorti une barrique de bon vin de pays de son chai. Chacun se sourie semblant redécouvrir l’autre. Dans quelques regards, on peut deviner que fut jadis une certaine proximité, qui a laissé quelque trace de souvenir et, rosit encore les joues.

Les émotions les plus belles ne sont-elles pas celles d’un instant d’éternité ?

Dans la grande salle de la mairie, des tables sont placées de sorte que les auteurs puissent disposer leurs ouvrages, des affichettes vantent les qualités des éditeurs qui ont fait le déplacement. Chacun affiche un air décontracté et s’est, pour l’occasion, habillé de propre. Les jeunesses ont abusé de la trousse à maquillage pour tenter d’être plus séduisantes, leurs mères ne sont pas en reste. Même les jours d’élection, le village ne bruisse pas d’un tel murmure, de rires d’enfants et des gloussements des gamines à qui les garçons content fleurettes. Ravi, le maire voit arriver l’ensemble des habitants, tous chargés de paniers remplis de victuailles.

Le banquet qui clôturera le salon sera superbe.

Peu à peu, les auteurs inscrits arrivent et étalent les livres qu’ils amènent. Il y a de tout, du policier, du contemporain, de la poésie, de l’histoire, souvent du régionalisme pour le cru local et, même du théâtre.

Souvent les salons sont occasion de se faire connaître, de nouer un dialogue qui débouchera sur une vente, peut-être… Ils sont une bonne opportunité pour approcher les lecteurs et faire des dédicaces ; alors malgré l’isolement du bled, ils sont venus, ces écrivains dont personne n’imaginait la présence en un tel endroit, perdu dans les champs.

Au fil des heures, les gens oublient la barrière qui les sépare des gens de lettres, pour ne plus voir que des gens comme eux, souriants et faciles d’abord. Certains se sentant un peu rehaussés de dialoguer avec de tels personnages, affichent une petite mine de suffisance en tenant le livre qu’ils ont acheté d’un air négligent, bien qu’en évidence devant eux. Dans la salle, un brouhaha de toutes les voix résonne comme un roulement qui se nourrit de  lui-même.

Finalement, chacun se demande pourquoi le village s’est enkysté de la sorte, jusqu’à s’ignorer lui-même. Les livres que tous prennent en mains, feuillettent, parcourent et achètent leur rendent la parole, l’envie de se rejoindre et de se séduire de nouveau… Nul ne voulant être en reste, les dédicaces pleuvent.

La journée fut clôturée par un banquet comme jamais Saint-mes-genoux n’en avait connu, le grand Robert amena son accordéon et Pierre sa guitare ; ils donnèrent une sorte de bal jusqu’à point d’heure.

Les écrivains faisant leurs comptes furent surpris d’avoir vendu plus de livres que jamais, 450 en tout ; presque un par personne ! Ce qui montre bien que le livre est une ouverture vers le monde, un lien entre les hommes, autant qu’il reste un passeport pour le rêve et l’illusion. Avec le livre, le village de Saint-mes-genoux a repris vie, oubliant sa sottise il s’est ouvert aux autres.

Pour l’ensemble des habitants, le village s’appelle désormais Saint Clément, ou Saint Bienvenue.

PS : Jean Noël, je te l’avais dit, mais ne m’en veut pas d’avoir pris quelques libertés…


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