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Post-crash America

Publié le 04 mai 2009 par François Monti
Nous sommes assez nombreux à avoir découvert il y a deux ans « Spaceman Blues » de Brian Francis Slattery, mélange assez rafraichissant de fiction pulp et d’aventures pynchoniennes. Certains ont beaucoup, beaucoup aimé, d’autres ont trouvé ça amusant, sans plus, mais personne ne s’est emmerdé. J’avoue tomber dans la seconde catégorie, ce qui explique qu’à l’heure de découvrir « Liberation », son deuxième roman, je pensais plutôt qu’il me permettrait de faire un break entre deux livres plus « lourds ». J’avais à la fois tort et raison : bien qu’il soit dans la droite ligne de son prédécesseur, ce texte-ci me semble receler des aspects bien plus profonds.
Le titre complet est tout un programme : « Liberation, being the adventures of the Slick Six after the collapse of the United States of America ». Six roublards (les slick six) ont une longue histoire de crime: détournement d’argent, trafics en tous genre, meurtres malheureusement. Depuis des années séparés (conflits internes aussi bien qu’emprisonnements), la chute des Etats-Unis va les réunir pour une dernière mission, pensée par Marco, le plus dur et le plus fort de la bande. Parqué, après procès, sur un bateau pénitentier, il ne revient au pays après de longues pérégrinations que lorsqu’il devient évident que l’Etat qui l’avait enfermé n’existe plus : balayé par une crise économique phénoménale, l’ancienne grande puissance mondiale s’est écroulée lorsque le poids de la dette et les réclamations des créanciers se sont avérés trop fort et ont rendu le dollar absolument sans valeur. Conséquences ? Chaos et violence. Des poches autonomes se créent ici et là, mais, partout ailleurs, la loi du plus fort. A New York, le pouvoir est entre les mains du Aardvark, mafieux qui tirait déjà pas mal de ficelles au temps d’avant et qui se retrouve aujourd’hui avec encore plus de richesses et de force. Partout dans le pays, l’esclavage est de retour, qu’il soit volontaire (les affamés se vendent eux-mêmes) ou plus traditionnels (ancienne mode, où le transaméricain remplace le transatlantique). Marco sait que s’il a passé des années en prison, ce n’est pas à la justice qu’il le doit, mais bien au Aardvark. Et c’est lui qu’il veut abattre, afin de retrouver sa fierté et de libérer le pays, tout en réunissant la seule famille qu’il se connait : les slick six. 
« Liberation » est un mélange curieux. Comme « Spaceman blues », c’est une fiction aux aspects pulps (bien plus que n’importe quel Pynchon) et aux prétentions littéraires qui se nourrit à de multiples sources. Les Slick six renvoient, comme les fameux Chums de « Against the day » à la littérature d’aventure pour garçons, à une différence près : il s’agit ici d’une version éminemment contemporaine, nourrie de la culture manga et super-héros. Il y a bien sûr un clair aspect si ce n’est science-fiction, au moins anticipation, ainsi qu’une révision du western et des éléments de l’épopée psychédélique, sortis des voyages de Ken Kesey et de ses Merry Pranksters. Cette dernière référence n’est bien entendu pas un hasard : un vent contre-culturel un tantinet désuet (bien que mis à jour) souffle à travers le livre.
Comme de bien entendu, un tel mélange garantit un résultat divertissant et chaotique. Mais il y a bien plus : les intuitions et intentions politiques de Slattery se font plus précises ici que dans « Spaceman blues ». On ne dira pas que le discours y est entièrement convaincant. En première analyse vraiment à gauche du spectre, « Liberation » est en fait une sage réflexion sociale-démocrate, éloge du juste-milieu. Ce n’est pas a priori un mal – vous ne m’entendrez pas dire qu’un roman ne peut pas être politiquement au centre ou à gauche ou à droite, ce ne sera jamais le critère – mais disons que le contraste est grand avec la célébration du chaos, de la créativité et de la liberté que l’on trouve de façon assez fréquente dans le texte. L’idéal est trop propre quand on voit le type de personnages mis en avant. Et par rapport à la radicalité de ces êtres de papier, on s’étonne des réflexions plutôt banales sur l’impossibilité qu’une société aurait à fonctionner sans Etat, que celui-ci sera de toute façon remplacé, dans ses aspects les plus négatifs, par les mafias et qu’enlever la loi tout en gardant le capitalisme ne peut mener qu’à l’esclavagisme. Tout ça est assez curieux de la part d’un auteur au background académique tel que le sien (droit international, développement économique, affaires publiques) et qui doit connaître les nombreuses objections émises par les anarchistes comme par les libéraux radicaux contre ces scénarios. (Et, sans vouloir être trop affirmatif, on a un peu l’impression que la vision cauchemardesque développée par Slattery est une sorte de réponse convenue aux libertariens tels Nozick – pour qui la démocratie est déjà un esclavage -- ou Block.) 
Mais pardonnez-moi pour cette digression qui ne devrait finalement pas avoir d’impact à la lecture du roman pour ceux qui sauteront le pas. Vous vous en fouterez et vous aurez raison. Et surtout, l’important n’est pas cette espèce de dialectique entre contenu politique et structure du roman mais bien la façon qu’à Slattery de réécrire l’histoire des Etats-Unis à travers « Liberation ». Parce que c’est bien ça qui, à mon sens, donne au roman une dimension que « Spaceman blues » n’a pas, dans mon souvenir au moins. Le retour à l’esclavage est un bon en arrière de presque 150 ans, l’ouest encore « sauvage » et hanté par des bandes de « pillards » nous ramène quant à lui encore plus loin, avant même la théorie de la destinée manifeste. Ces deux éléments omniprésents dans le roman légitiment sans doute à eux seuls la décision de Slattery d’en faire un portrait déformé, un miroir déformant de l’histoire des Etats-Unis. Les évènements du passé sont rejoués, quand ce ne sont pas simplement les fantômes des victimes d’antan qui ressurgissent dans un étrange retour. Parmi de nombreux parallèles qu’il conviendrait d’étudier plus en profondeur, Manhattan est revendu, Jamestown redevient le point de départ de l’embryon d’une nouvelle aventure. Et c’est ce type de procédés et d’évènements, disséminés en toile de fond des dernières aventures jubilatoires des Slick Six qui fait passer « Liberation » du mindtrip divertissant au sick, slick & deep mindfuck.
Brian Francis Slattery, Liberation, Tor, $14.95

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