Vénus

J'ai rendez-vous avec un journaliste qui braquera un micro vers ma bouche, et je me dis en sautant le haut trottoir que ce n'est pas le moment de me tordre une cheville.
Les feuilles tombent derrière les grilles du parc et tourbillonnent. Il y a un peu de vent et un soleil oblique. Je n'ai pas vu le temps passer.
Un petit garçon aux cheveux très courts et à trottinette, vif et tout rond, me frôle en faisant des bruits de moto. Il a un pantalon de survêtement noir avec une large bande rouge, un sweat-shirt sur lequel il est écrit:: I am experimented. Il fonce vers un type à l'imper fermé, coiffé d'un large béret basque, freine brusquement devant lui et ils se sourient.
Une affiche de musée annonce une exposition Bouguereau, le peintre académique, qui revient à la mode. La naissance de Vénus. Puis je reconnais dans un passant à casquette, favoris et veste élimée, un type à qui j'ai donné de l'argent dans le tram. Il avait produit son couplet bien rôdé. Perdu mon travail. Mon logement. Ce n'est pas facile de faire ce que je fais. Donnez-moi au moins un petit sourire. C'était du travail bien fait, à récompenser, même si je suis un nanti et trouve, par commodité, que la charité est égoïste.