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Maryse Condé : Ségou, les murailles de terre

Par Gangoueus @lareus
Maryse Condé : Ségou, les murailles de terre
Mes lectures sont longues et lentes. Cela se ressent sur le blog. La passion de lire est là. Ne craignez rien. Le plaisir de prendre son pied avec certains bouquins est réel. Comme je l’ai déjà souligné, je poursuis une très belle série depuis le début de l’année.
Avec le chef d’œuvre de Maryse Condé, Ségou, c’est un nouveau voyage dans le temps qui m’a été proposé. Dans l’espace aussi. L’Afrique de l’Ouest avec un épicentre à Ségou.

Nous sommes à la fin du 18ème siècle, la grande ville de Ségou, capitale du royaume des Bambara puissants guerriers et agriculteurs dominent la région par le fer et l’épée. C’est une nation riche, animiste qui écrase ses vassaux et les domine de sa puissance militaire. En particulier, les populations peules, consacrées à l’élevage des bovins, et nouvellement sédentarisées.
Mais voilà, de nombreux changements s’opèrent dans la région avec l’arrivée des premiers explorateurs européens, l’islamisation progressive des populations sahéliennes et la traite négrière qui bat son plein sur les côtes du continent et qui se nourrit entre autres des captifs des différentes nations.
C’est dans ce contexte tumultueux que Maryse Condé place les personnages de sa saga familiale, celle des Traoré, descendants de Dousika Traoré, notable déchu de la cour royale de Ségou. Comme toutes les grandes sagas, la marque d’une malédiction, d’une obscure fatwa spirituelle qui s’abat sur la lignée des Traoré est présente. Le lecteur se posera la question comme le commun des mortels à Ségou sur les causes de tant de tragédies : la mise aux bans de la société du chef de Clan, Dousika Traoré ? la conversion à l’islam de Tiékoro, le fils aîné ?

Je pense aux dernières épopées familiales que j’ai lues : les Bascombs ou les Sartoris de Faulkner, les Buendia de Garcia-Marquez. Maryse Condé joue dans cette cour des très grands en apportant une complexité au genre du fait de la mobilité de ses personnages. Elle choisit de suivre les itinéraires de quatre des fils de Dousika Traoré :
Tiékoro et Naba, fils de Nya la première épouse appartenant à l’aristocratie locale, Siga le fils de l’esclave-qui-s’est-jetée-dans-un-puits et Malobali, fils de la captive peule.
Elle associe à ces personnages hauts en couleur, leur descendance à la première génération.

Il y a dans le choix ci-dessus des personnages, tous les germes de la décadence, de la contradiction, de la violence du système social bambara. Et tout au long du roman, l’auteur prend le soin de mettre harmonieusement en scène son autopsie d’une société africaine précoloniale.
Le génie de ce roman réside dans l’identification avec les personnages malgré un contexte quelque peu exotique. Parce que les personnages sont vrais, avec leurs contradictions, leurs violences, leurs idéaux, leur humanité à l’instar de Tiékoro qui souhaite devenir un grand lettré musulman de Tombouctou et qui est dépassé par la passion de la chair. On se prend d’amitié et d’indulgence pour ces personnages, pour cette fratrie où les rôles sont fixés par le destin et des croyances traditionnelles immuables, du fait des différentes naissances des acteurs. Le talent de l’écrivain a été de passer d’un personnage à l’autre avec du rythme, de produire des changements d’univers passant de Ségou à Tombouctou, de Djenné à Fès, d’Hamdallay à Abomey, d’Ouidah à Kumasi, de Freetown à Londres…

En toile de fond, Ségou est une réflexion sur la question de l’esclavage et sur la manière dont la Traite s’est nourrie de fêlures dans le système d’organisation sociale de ces royaumes d’Afrique de l’Ouest, sur la collaboration des élites et, parfois, des anciens esclaves d’outre-Atlantique à ce fléau. Une analyse de l’islamisation de cette région d’Afrique s’appuyant sur les limites de l’animisme et du fétichisme.
Mais plus que ces considérations historiques de qualité qui ont conduit l’auteur antillaise à de profondes recherches, la richesse de ce roman réside dans la profondeur et le drame de vie des enfants de Dousika Traoré qui voient s’abattre sur eux, l’Histoire dans sa folie meurtrière.
Bonne lecture,
Maryse Condé, Ségou tome 1
Edition Robert Laffont, collection Pocket1ère parution 1984, 491 pages
Vous pouvez également suivre une partie de l'intervention de Maryse Condé à Apostrophes à l'occasion de la sortie de ce roman.

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