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Proust : le bal des têtes

Par Sheumas

Traverser le temps est affaire de chrysalide... L’image est de Proust et est intéressante, comme le révèle l’extrait suivant... où l’on voit une fois de plus que la narration chez Proust est surtout l’occasion d’une méditation sur le temps et l’humanité (et on comprend mieux pourquoi cet auteur figurait il y a une cinquantaine d’années dans les programmes officiels de philo...).

   « (...) Quand M. de Cambremer eut fini ses questions sur mes étouffements, ce fut mon tour de m'informer tout bas auprès de quelqu'un si la mère du marquis vivait encore. En effet dans l'appréciation du temps écoulé, il n'y a que le premier pas qui coûte. On éprouve d'abord beaucoup de peine à se figurer que tant de temps ait passé et ensuite qu'il n'en ait pas passé davantage. On n'avait jamais songé que le XIIIe siècle fût si loin, et après on a peine à croire qu'il puisse subsister encore des églises du XIIIe siècle, lesquelles pourtant sont innombrables en France.

   (...) Chez d'autres, dont le visage était intact, ils semblaient seulement embarrassés quand ils avaient à marcher ; on croyait d'abord qu'ils avaient mal aux jambes - et ce n'est qu'ensuite qu'on comprenait que la vieillesse leur avait attaché ses semelles de plomb.

   Elle en embellissait d'autres, comme le prince d'Agrigente. A cet homme long, mince, au regard terne, aux cheveux qui semblaient devoir rester éternellement rougeâtres, avait succédé, par une métamorphose analogue à celle des insectes, un vieillard chez qui les cheveux rouges, trop longtemps vus, avaient été, comme un tapis de table qui a trop servi, remplacés par des cheveux blancs. Sa poitrine avait pris une corpulence inconnue, robuste, presque guerrière, et qui avait dû nécessiter un véritable éclatement de la frêle chrysalide que j'avais connue, une gravité consciente d'elle-même baignait les yeux, où elle était teintée d'une bienveillance nouvelle qui s'inclinait vers chacun. Et comme malgré tout une certaine ressemblance subsistait entre le puissant prince actuel et le portrait que gardait mon souvenir, j'admirais la force de renouvellement original du temps qui tout en respectant l'unité de l'être et les lois de la vie sait changer ainsi le décor et introduire de hardis contrastes dans deux aspects successifs d'un même personnage. »

 

Proust : le bal des têtes (9)


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