Le Jeu de Paume expose ensemble ces deux artistes (jusqu’au 7 juin) et c’est un pari audacieux que de rompre ainsi la continuité, de tenter des correspondances stylistiques ou thématiques (Archive, Machine, Montage, Non-verbal) entre deux vidéastes assez différents. J’en suis sorti pas nécessairement très convaincu, le propos sur la représentation est peut-être trop réfléchi, trop axé sur la signification et pas assez sur le sens même. Je ne sais, mais, près d’un mois après ma visite, j’ai eu du mal à écrire une critique construite de cette exposition. Alors, comme souvent, je me contente de coups de projecteur sur telle ou telle oeuvre, prenant cet ensemble à la carte, et non comme un menu.
Immersion est aussi une vidéo de Farucki où réel et représentation entrent en collision : l’Institute for Creative Technologies a mis au moins une technologie permettant à des personnes traumatisées de revivre leurs expériences pour tenter de s’en libérer. Le trauma ici est celui d’anciens militaires et des horreurs de la guerre (il s’agit de l’Irak, mais ce pourrait être n’importe quel combat, Farocki est un grand analyste des images de guerre). On assiste, médusé, à cette expérience curative de psycho-vidéo, avant de comprendre que nous ne voyons là qu’une répétition, qu’un simulacre joué par des psychologues s’entrainant à utiliser cette technologie.
J’ai du mal à relier cette densité aux jolies performances de Rodney Graham, excepté Halcion Sleep, sa ballade, assommé par un somnifère, sur la banquette arrière d’une voiture dans les rues de Vancouver, qui est comme une représentation cinématographique : écran, lumière, mouvement, banquette, rêve. J’aime beaucoup aussi sa représentation des mécanismes de projection, énormes projecteurs bruyants qui sont partie prenante de l’exposition (ainsi dans Rheinmetall) et le film ci-contre qui décrit des volutes lègères dans un empilement ondulé à l’arrière de Coruscating Cinnamon Granules : c’est dévoiler la matière filmique même. Mais, face à ses comédies plus ou moins drolatiques où il joue des personnages décalés, face à l’image en abîme de Paradoxical Western Scene, face à ses sempiternels arbres tête en bas, je reste froid, et je m’interroge sur les liens, les correspondances que j’ai eu tant de mal à voir entre ces deux artistes. Au moins, le tas de patates qui l’empêche d’entrer dans son studio (Potatoes blocking my studio, door) est drôle : l’artiste en grève, en retrait, incapable de travailler.Photos 1, 4 et 5 de l’auteur; photos 2 & 3 courtoisie du Jeu de Paume.