Magazine Beaux Arts

Farocki Graham

Publié le 06 mai 2009 par Marc Lenot

Le Jeu de Paume expose ensemble ces deux artistes (jusqu’au 7 juin) et c’est un pari audacieux que de rompre ainsi la continuité, de tenter des correspondances stylistiques ou thématiques (Archive, Machine, Montage, Non-verbal) entre deux vidéastes assez différents. J’en suis sorti pas nécessairement très convaincu, le propos sur la représentation est peut-être trop réfléchi, trop axé sur la signification et pas assez sur le sens même. Je ne sais, mais, près d’un mois après ma visite, j’ai eu du mal à écrire une critique construite de cette exposition. Alors, comme souvent, je me contente de coups de projecteur sur telle ou telle oeuvre, prenant cet ensemble à la carte, et non comme un menu.

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Ce qui m’a plu ici, c’est la déconstruction du montage menée par Harun Farocki, sa capacité à montrer une scène, un thème sous dix angles différents. De ce point de vue, la grande salle où le match France-Italie de la Coupe du Monde est présenté, non pas en tant que pur spectacle, mais avec tous les éléments constitutifs de ce spectacle sur 12 écrans de grande taille ceinturant la salle, cernant le spectateur (et non pas sur de petits moniteurs comme je l’avais vu à Kassel) est remarquable. On voit ici un logiciel d’analyse du jeu, ici une caméra de vidéosurveillance, là les instructions du régisseur aux cameramen, une véritable fabrique des images démontée minutieusement, dans une analyse du spectacle (et de la dite société..) qui donne matière à s’interroger sur notre culture visuelle bien mieux que tant de recherches académiques sur le sujet (Deep Play).

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De même, la série de 12 Sorties d’usines en onze décennies, des Frères Lumière à nos jours, sur 12 moniteurs en ligne, présente un thème étrangement obsessionnel, une archéologie cachée que Farocki fait remonter à la surface, un regard documentaire oscillant du sentimental au social et mettant en lumière une quintessence, un générique de la sortie d’usine tout à fait fascinant (grilles, foule, uniformes, rôles masculin et féminin, poids de l’architecture). Tout son travail sur le montage, son regard sur son propre montage (Schnittstelle) est la fondation même de son oeuvre, avec, par exemple le discours de Ceaucescu en décembre 1989 et l’irruption de la rue dans l’image.

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Immersion est aussi une vidéo de Farucki où réel et représentation entrent en collision : l’Institute for Creative Technologies a mis au moins une technologie permettant à des personnes traumatisées de revivre leurs expériences pour tenter de s’en libérer. Le trauma ici est celui d’anciens militaires et des horreurs de la guerre (il s’agit de l’Irak, mais ce pourrait être n’importe quel combat, Farocki est un grand analyste des images de guerre). On assiste, médusé, à cette expérience curative de psycho-vidéo, avant de comprendre que nous ne voyons là qu’une répétition, qu’un simulacre joué par des psychologues s’entrainant à utiliser cette technologie.

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J’ai du mal à relier cette densité aux jolies performances de Rodney Graham, excepté Halcion Sleep, sa ballade, assommé par un somnifère, sur la banquette arrière d’une voiture dans les rues de Vancouver, qui est comme une représentation cinématographique : écran, lumière, mouvement, banquette, rêve. J’aime beaucoup aussi sa représentation des mécanismes de projection, énormes projecteurs bruyants qui sont partie prenante de l’exposition (ainsi dans Rheinmetall) et le film ci-contre qui décrit des volutes lègères dans un empilement ondulé à l’arrière de Coruscating Cinnamon Granules : c’est dévoiler la matière filmique même.

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Mais, face à ses comédies plus ou moins drolatiques où il joue des personnages décalés, face à l’image en abîme de Paradoxical Western Scene, face à ses sempiternels arbres tête en bas, je reste froid, et je m’interroge sur les liens, les correspondances que j’ai eu tant de mal à voir entre ces deux artistes. Au moins, le tas de patates qui l’empêche d’entrer dans son studio (Potatoes blocking my studio, door) est drôle : l’artiste en grève, en retrait, incapable de travailler.

Photos 1, 4 et 5 de l’auteur; photos 2 & 3 courtoisie du Jeu de Paume.


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