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Tu écris toujours ? (49)

Publié le 07 mai 2009 par Christian Cottet-Emard

Conseils à ceux qui veulent donner des conseils aux écrivains

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(Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Épisode publié dans le Magazine des livres n°15)


Depuis le temps que je prodigue des conseils aux écrivains et à leurs improbables amis, vous devez vous demander comment je peux remplir cette mission. C’est très simple, je fréquente quelques spécimens de ces individus sans pour autant appartenir à leur confrérie.

Si j’étais moi-même écrivain, je serais incapable d’en conseiller d’autres. Si vous avez des bourrelets, vous n’êtes pas le mieux placé pour conseiller celles et ceux qui voudraient réduire les leurs. Oh, bien sûr, le rêve très ordinaire de devenir écrivain m’a visité comme on peut l’être par un fantôme qui viendrait la nuit vous chatouiller les pieds. J’ai même cédé à la tentation dans ma jeunesse en envoyant un poème à un journal local. Le chef d’agence m’a téléphoné pour me féliciter et m’a demandé si je ne voulais pas, dans la foulée, couvrir l’assemblée générale de la société crématiste Les Feux follets. J’ai accepté cette corvée et quelques autres mais au bout de dix ans, j’en ai vite eu assez. À la onzième assemblée générale annuelle, j’ai tout envoyé promener, la presse et les crématistes. De toute façon, je ne brûle pas d’impatience à l’idée d’être réduit en cendres. Et puis, moi qui n’ai jamais fait de politique, je me vois mal finir dans une urne.

Un des écrivains que je conseille le mieux est mon voisin. Nous avons lié grâce à son chartreux, Sir Alfred, peu après mon installation dans ma modeste maison à quelques encablures de la demeure du Maître, une grosse pâtisserie de style rococo datant du début vingtième avec balcons, verrières, tourelles et tout le tralala. J’avais remarqué que Sir Alfred polluait ma pelouse juste après son repas pris vers midi. J’avais alors réussi à inverser le processus en attirant le matou une heure avant avec des friandises dont il se remplissait la panse pour retourner œuvrer dans le gazon, mais cette fois-ci dans celui de son propriétaire. Retour à l’envoyeur. Après une petite explication avec l’écrivain qui avait découvert mon stratagème, nous étions parvenu à une entente cordiale dans l’intérêt de Sir Alfred, ce glouton ne pouvant tout de même pas continuer indéfiniment à risquer l’apoplexie à force d’ingurgiter tous les jours une double ration.

Mes visites à l’écrivain dont je tairai le nom — je puis juste indiquer qu’il connut jadis un grand succès avec son roman traduit dans le monde entier, même en inuit, L’Amour est enfant de poème — obéissent toujours au même rituel. Très chic, je dois dire. La vieille gouvernante anglaise au visage mal rasé me jette un regard en dessous en me débarrassant de mon pardessus après quoi elle lève un sourcil et m’accompagne dans une antichambre poussiéreuse mais très chic. Tout est très chic dans cette maison, même la poussière. Elle entrouvre une porte dans la pénombre et prononce mon nom avec un accent anglais, ce que je trouve vraiment très chic. « Qu’il entre ! » soupire une voix pendant que la gouvernante file à l’anglaise bien sûr et que Sir Alfred en profite pour s’esbaudir dans la bibliothèque où l’écrivain m’indique un fauteuil club griffé devinez par qui.
Sir Alfred s’empresse de se coucher sur mes cuisses dans lesquelles il plante ses griffes sans que je puisse protester car cela interromprait la conversation. Lorsqu’il bâille, on croirait avoir soulevé le couvercle d’une poubelle ménagère abandonnée une semaine de canicule pour cause de grève des éboueurs. Heureusement, l’écrivain m’offre un cigare dont quelques volutes dirigées avec adresse sur les moustaches de Sir Alfred suffisent à me libérer de la tiède et gélatineuse pesanteur qu’il inflige à mon centre de gravité. Au moment où je pourrais enfin jouir en paix de nos échanges littéraires, la gouvernante anglaise vient servir le thé, breuvage certes décevant mais on ne peut plus chic, ce qui me donne au moins une occasion dans la journée de boire de l’eau, conformément aux conseils de mon médecin obsédé par l’hydratation. Avec une gouvernante jurassienne, peut-être aurais-je eu droit à une fine du Jura.

Ma patience à endurer les familiarités de Sir Alfred, son haleine de poney et le fade glissement du thé dans mon gosier me valent autant la sympathie de l’écrivain que mon souci de ne pas chasser sur les mêmes terres que lui. Il me croit encore journaliste. Je ne démens pas car les écrivains qui se supportent rarement entre eux tolèrent plus facilement un tel plumitif dans leur entourage, à condition qu’il sache adopter les attitudes hiérarchiques appropriées (par exemple, l’écrivain doit toujours manger le premier). Sur ce point, mon prestigieux voisin n’a rien à craindre. Le succès d’un seul livre l’ayant dispensé d’en écrire d’autres, il incarne un rêve aujourd’hui partagé par de nombreux auteurs : devenir écrivain sans être obligé d’écrire, le comble du chic.

La suite du feuilleton dans le magazine des livres n°16 (mai 2009) actuellement en kiosques.



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