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Amour de ma mère, à nul autre pareil II

Publié le 08 mai 2009 par Bonamangangu

RIM1979006W00002-11-COHEN.jpgElle m’a attendu trois heures dans ce square…//…j’ai perdu trois heures de la vie de ma mère. Et pour qui, mon Dieu ? Une Atalante, pour un agréable arrangements de chairs. J’ai osé préférer une Atalante à la bonté sacrée, à l’amour de ma mère. Amour de ma mère, à nul autre pareil.

 D’ailleurs, la poétique demoiselle, si j’avais perdu, par quelque mal soudain, ma force ou simplement toutes mes dents, elle aurait dit à sa femme de chambre, en me désignant, de balayer cette ordure édentée. Ou, plus noblement, cette musicale donzelle aurait senti, soudain purement senti et eu la spiritualle révélation qu’elle ne m’aimait plus. Son âme se serait envolée à tire d’aile. Ces nobles personnes aiment les hommes forts, énergiques, affirmatifs, les gorilles, quoi. Edentés ou non, forts ou faibles, jeunes ou vieux, nos mères nous aiment. Et plus nous sommes faibles et plus elles nous aiment.

Amour de nos mères, à nul autre pareil.

Petite remarque en passant. Si le pauvre Roméo avait eu tout à coup le nez coupé net par quelque accident, Juliette, le revoyant, aurait fui avec horreur. Trente grammes de viandes de moins, et l’âme de Juliette n’éprouve plus de nobles émois. Trente grammes de moins et c’est fini, les sublimes gargarismes au clair de lune, les «  ce n’est pas le jour, ce n’est pas l’alouette ». Si Hamlet avait, à la suite de quelque trouble hypophysaire, maigri de trente kilos, Ophélie ne l’aimerait plus de toute son âme.

L’âme d’Ophélie pour s’élever à de divins sentiments a besoin d’un minimum de soixantes kilos de biftecks. Il est vrai que si Laure était devenue soudain cul-de-jatte, Pétrarque lui aurait dédié de moins mystiques poèmes.

Et pourtant, la pauvre Laure, son regard serait resté le même et son âme aussi. Seulement, voilà, il lui faut des cuissettes à ce monsieur Pétrarque, pour que son âme adore l’âme de Laure. Pauvres mangeurs de viande que nous sommes, nous, avec nos petites blagues d’âme.

Assez, mon ami, ne développe plus, on a compris.

Albert Cohen, op citatum, page 88-90



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